LA PETITE SOCIOTHÈQUE
Petites bouchées d'ouvrages militants à partager

Introduction

Thèmes centraux

  • Indivisibilité entre féminisme et abolition

  • Critique des dualismes et des approches réformistes

  • Intersectionnalité et imbrication des oppressions

  • Politique du collectif et critique de l’individualisme

  • Généalogies militantes et inscription historique

  • Expérimentation politique et pratiques contemporaines

  • Écriture collective et articulation savoir/lutte

Résumé et analyse

Why Abolition Feminism

Dans cette première sous-partie de l’introduction, les autrices affirment la nécessité d’articuler abolition et féminisme comme cadres indissociables. Ni le féminisme ni l’abolition ne peuvent être conçus séparément ou de manière réductrice. À partir de la question de savoir ce qui rend une action « féministe » ou « abolitionniste » même sans revendication explicite, elles ouvrent un champ d’analyse qui relie les luttes contre les violences de genre et celles contre les systèmes punitifs étatiques.

Contre les logiques binaires, elles défendent une approche politique fondée sur la relation, le processus et la transformation. Le féminisme et l’abolition sont présentés comme des pratiques en mouvement, non comme des identités fixes. Un féminisme sans critique du système carcéral renforce les dominations qu’il prétend combattre ; de même, une abolition non féministe échoue à saisir les formes spécifiques de violences vécues par les femmes, les personnes queer et trans, notamment racisées.

L’abolition féministe devient ainsi une méthode critique pour penser conjointement violences dites « privées » et violences d’État. L’intersectionnalité et l’expérience concrète des personnes ciblées par le système pénal sont au centre de cette approche. Enfin, les autrices inscrivent leur propos dans une histoire des mouvements féministes et abolitionnistes souvent séparés, et appellent à réactiver leurs racines communes dans la lutte contre le racisme, l’hétéropatriarcat et le capitalisme. Le titre Abolition. Feminism. Now. exprime cette double urgence politique et analytique.

                                            --

Why Us

Dans cette sous-partie, les autrices expliquent les raisons de leur collaboration en soulignant la continuité entre leur engagement militant et la production de ce livre. Leur démarche s’inscrit dans une histoire collective de luttes, notamment au sein de Critical Resistance et d’INCITE!, et ne relève ni d’un projet individuel ni d’un exercice académique détaché du terrain. L’ouvrage émerge d’années d’actions partagées dans des contextes variés – prisons, universités, campagnes locales et transnationales – et s’ancre dans des pratiques concrètes.

Le collectif qu’elles forment n’est pas homogène, mais traversé par des différences de générations, de trajectoires, de positions sociales et institutionnelles. Ce pluralisme constitue la base de leur démarche, qui ne cherche pas l’unité de voix, mais le dialogue entre perspectives. La légitimité de leur position féministe abolitionniste découle de l’expérience commune de la lutte, et non de titres ou d’une autorité individuelle. Cette posture critique les logiques de personnalisation militante et valorise la production collective du savoir, issue d’échanges informels, de réunions de terrain et de moments de solidarité vécus.

Elles précisent que leur projet précède les révoltes de 2020, tout en y trouvant un écho, et qu’il s’inscrit dans une temporalité longue. Il s’agit d’affirmer le féminisme abolitionniste comme un courant structurant, historiquement ancré, destiné à penser et construire des alternatives concrètes aux logiques carcérales. Cette sous-partie pose ainsi les fondements éthiques et politiques de leur démarche.

                                            --

Why Collective

Dans cette sous-partie, les autrices réaffirment que l’action collective est le fondement même du féminisme abolitionniste. Le collectif n’est pas un simple mode d’organisation, mais une condition politique essentielle pour produire du savoir, élaborer des stratégies et construire des alternatives aux systèmes punitifs. Elles critiquent l’héroïsation militante et rappellent que les transformations les plus durables sont portées par des réseaux souvent féminisés, racisés, et invisibilisés.

Ce positionnement repose sur deux constats : les formes les plus efficaces de lutte sont issues d’organisations collectives anonymes, tandis que les logiques néolibérales tendent à individualiser, à hiérarchiser et à isoler. Le collectif est ainsi une réponse à la fragmentation induite par le capitalisme et le racisme. Il est aussi un espace d’apprentissage, de tension et de négociation, où l’on forge des pratiques de justice non punitives et des relations de responsabilité partagée.

Les autrices insistent sur la nécessité de reconnaître le travail invisible dans les mouvements, de redistribuer les tâches, et d’éviter que les plus exposé·es aux violences (notamment les femmes racisées et les personnes trans) portent l’essentiel de la charge militante. Le collectif devient alors un lieu politique central, à la fois conflictuel et transformatif.

Enfin, cette réflexion s’inscrit dans la continuité de traditions politiques souvent marginalisées : cercles de lecture, cuisines collectives, coalitions féministes noires et décoloniales. Le collectif n’est pas accessoire : il est au cœur de toute praxis féministe abolitionniste.

                                            --

Why Now

Dans cette section, les autrices répondent à la question « pourquoi maintenant ? » en situant l’abolition féministe dans une temporalité historique et politique étendue. Elles analysent le présent non comme une rupture isolée, mais comme le résultat d’un long héritage de luttes menées par des personnes noires, queer, trans, autochtones et migrantes. L’année 2020 – marquée par la pandémie et les révoltes antiracistes – sert de catalyseur, mais les autrices rappellent que les revendications abolitionnistes et les pratiques alternatives préexistaient à ces événements.

Elles insistent sur la continuité des violences structurelles (carcéralisation, criminalisation des luttes, précarité racialisée, violences transphobes, attaques sur les droits reproductifs) et posent l’abolition féministe comme une réponse politique urgente. Le « maintenant » du titre est un appel à agir à partir des expériences accumulées, en reconnaissant les savoirs issus des luttes passées.

La section souligne également la dimension internationale des résistances : des exemples au Brésil, en Palestine, en Afrique du Sud ou en Australie montrent que les violences d’État s’inscrivent dans un capitalisme mondialisé, appelant à des solidarités transnationales sans effacer les spécificités locales.

Enfin, les autrices interrogent le rapport au temps dans les luttes : comment combiner l’urgence de l’action avec les temporalités longues du changement social ? Elles proposent de penser l’abolition féministe comme une démarche ancrée dans le présent, sans céder ni au réformisme immédiat, ni à l’attente passive, mais en engageant dès maintenant des pratiques concrètes de transformation.

Concepts clés définis, expliqués et historicisés

"Abolition feminism" (féminisme abolitionniste)

🔹 Définition

L’abolition feminism désigne une praxis politique qui considère que les systèmes de punition étatique (prisons, police, surveillance) et les structures de genre (hétéronormativité, patriarcat, transphobie) sont co-constitutifs et doivent être abolis ensemble. Ce concept insiste sur le caractère indivisible des luttes pour la justice sociale, en liant intimement la critique des violences sexuelles et genrées à celle de l’État pénal.

🔹 Contexte historique

Issu des luttes menées par des femmes racisées aux États-Unis depuis les années 1970, le concept a été formalisé au tournant des années 2000 par des collectifs comme INCITE! et Critical Resistance. Il s’inscrit dans une généalogie féministe de couleur, antiraciste et anticapitaliste, qui refuse de déléguer la protection des victimes de violence à l’appareil répressif d’État, en montrant que celui-ci perpétue et aggrave les violences qu’il prétend combattre.

"Both/and politics" (politique du ET/ET)

🔹 Définition

La both/and politics renvoie à une posture critique qui refuse les logiques binaires ou exclusives (par exemple : réforme ou révolution, abolition ou soutien aux survivantes). Elle affirme que les pratiques politiques doivent tenir ensemble des objectifs multiples, parfois en tension, mais toujours orientés vers une transformation radicale.

🔹 Contexte historique

Ce type de raisonnement a été développé dans le contexte des féminismes intersectionnels, notamment par les Black feminists des années 1970-80 comme le Combahee River Collective. Il constitue une réponse aux critiques féministes blanches ou réformistes qui réduisent les luttes à une seule dimension, en ignorant les autres formes de pouvoir et d’oppression à l’œuvre.

"Activist-scholar" (chercheur·se-militant·e)

🔹 Définition

Le concept d’activist-scholar désigne une personne engagée à la fois dans le champ académique et dans des luttes sociales, dont la production intellectuelle est indissociable de son inscription militante. Ce modèle rompt avec la division entre théorie et pratique, en insistant sur la réflexivité critique et l’ancrage concret du savoir.

🔹 Contexte historique

Apparu dans les milieux marxistes et féministes critiques, ce concept a été particulièrement valorisé dans les cercles de la prison abolition et des Black Studies. Il a été théorisé en opposition au modèle dominant du chercheur neutre ou extérieur aux objets de son étude, notamment dans les années 1990-2000 avec la montée des épistémologies situées.

"Collective voice" (voix collective)

🔹 Définition

La collective voice est une forme d’énonciation politique et intellectuelle qui ne s’appuie pas sur une subjectivité individuelle ou un point de vue unique, mais sur l’élaboration dialogique, souvent conflictuelle, d’un discours ancré dans une pluralité de vécus et d’analyses.

🔹 Contexte historique

Ce principe d’énonciation a été défendu dès les années 1970 par les féminismes noirs, notamment le Combahee River Collective, comme alternative aux récits hégémoniques universalistes. Il s’oppose aussi à la personnalisation des savoirs critiques, en privilégiant une logique de construction horizontale.

Collectif politique

🔹 Définition

Le collectif politique désigne une forme d’organisation basée sur la coopération, la décision partagée, la construction horizontale des stratégies et l’attention aux dynamiques internes. Il ne vise pas l’unanimité, mais la cohabitation des différends dans une optique de transformation commune.

🔹 Contexte historique

La valorisation du collectif émerge des traditions féministes, anarchistes, décoloniales, et marxistes. Les féminismes matérialistes et queer, notamment, ont toujours insisté sur l’importance des communautés organisées pour faire face à la violence, produire du savoir et nourrir la résistance.

"Care work" (travail du care / du soin)

🔹 Définition

Le care work désigne les activités matérielles, émotionnelles et organisationnelles souvent invisibles mais essentielles au maintien et au fonctionnement des collectifs. Ce travail, largement assumé par les femmes et les minorités de genre, inclut la gestion des conflits, la prise en charge émotionnelle, la logistique, et la reproduction des espaces militants.

🔹 Contexte historique

Conceptualisé par les éthiques féministes du care dès les années 1980 (Carol Gilligan, Joan Tronto), ce travail a été revalorisé dans les années 2000 par les féminismes antiracistes et abolitionnistes comme cœur politique de la lutte : soin comme résistance, soin comme pratique anti-punitive, soin comme stratégie d’autonomie collective.

"Now politics" (politique du maintenant)

🔹 Définition

La now politics désigne une posture stratégique qui reconnaît l’urgence d’agir sans céder à la précipitation ou à l’illusion des réformes rapides. Elle articule la nécessité de réponses immédiates avec une vision à long terme de la transformation structurelle.

🔹 Contexte historique

Cette approche est issue des traditions abolitionnistes radicales et des mouvements féministes noirs. Elle refuse l’opposition entre gradualisme et impatience révolutionnaire, et valorise les pratiques situées, concrètes, et durables, qui construisent dès à présent les conditions matérielles d’un monde post-carcéral.

"Transnational solidarity" (solidarité transnationale)

🔹 Définition

La transnational solidarity renvoie à la construction d’alliances politiques entre mouvements situés dans des contextes géopolitiques différents, mais confrontés à des logiques d’oppression similaires. Elle implique une écoute réciproque, une reconnaissance des asymétries, et une volonté partagée de construire des alternatives au capitalisme racial et à l’État pénal.

🔹 Contexte historique

Ce concept est central dans les mouvements féministes décoloniaux, les mobilisations anticarcérales et les luttes contre l’impérialisme. Il prend appui sur des réseaux militants (ex. : INCITE!, Sisters Inside, Mouvements pour la justice climatique) et s’oppose à l’internationalisme abstrait en valorisant les pratiques d’entraide et de co-élaboration entre mouvements ancrés localement.