Chapitre 1: Abolition. - Partie 1
Thèmes centraux
- Histoire oubliée de la résistance féminine en milieu carcéral
- Pratiques collectives comme formes pré-abolitionnistes
- Criminalisation des femmes racisées et pauvreté structurelle
- Généalogie féministe de l’abolition
- Héritages intellectuels et militants de l’abolition
- Généalogie entre esclavage racial et incarcération contemporaine
- Héritage des révoltes carcérales des années 1970
- Centralité de la pratique et de l’expérimentation politique
Résumé et analyse
The Women’s House of Detention
Cette section revient sur l’histoire de la Women’s House of Detention à New York, prison emblématique du réformisme carcéral entre 1932 et 1974. Présentée à l’époque comme modèle de modernité, elle perpétuait en réalité l’isolement, la pathologisation des détenues, et la criminalisation de la pauvreté. Pourtant, ce lieu fut aussi un espace de résistance féminine collective. Les autrices mettent en lumière les solidarités tissées entre l’intérieur et l’extérieur grâce à la proximité géographique avec la rue, qui permettait aux détenues d’échanger avec leurs proches à travers les fenêtres.
Ces formes d’entraide, bien qu’anonymes et non désignées comme telles, sont réinterprétées ici comme des pratiques abolitionnistes avant la lettre. Les campagnes de libération sous caution, organisées par les détenues elles-mêmes avec l’appui de soutiens extérieurs, préfigurent des initiatives contemporaines comme le Black Mamas Bail Out Action. Ces actions esquissent une justice communautaire centrée sur la solidarité, en rupture avec les logiques punitives.
Les autrices soulignent aussi l’importance politique de la mémoire. La transformation du site de la prison en jardin public symbolise l’effacement des luttes collectives qui s’y sont jouées. L’oubli institutionnel des femmes incarcérées devient ainsi un enjeu politique majeur de la critique abolitionniste féministe.
Enfin, cette mémoire souterraine permet de recontextualiser les débats actuels sur les politiques de caution et les libérations humanitaires, en les ancrant dans des pratiques concrètes portées par des femmes racisées, souvent marginalisées dans les récits historiques dominants.
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Organizing Genealogies
Cette sous-partie retrace les origines du féminisme abolitionniste contemporain en remontant aux années 1970. Elle souligne l’impact de la révolte d’Attica (1971) comme moment déclencheur d’un discours radical sur la prison et ses alternatives. Des textes fondateurs comme Struggle for Justice (1971) et Instead of Prisons (1976) ont posé les bases d’un mouvement anticarcéral centré sur la justice communautaire, dans lequel des femmes engagées ont joué un rôle majeur.
Les autrices évoquent des initiatives locales comme le Santa Cruz Women’s Prison Project, qui associaient action directe, production de savoir, et mobilisation contre la construction de nouvelles prisons. Ces projets incarnent une stratégie d’expérimentation politique fondée sur les besoins réels des communautés, loin des solutions institutionnelles.
Un tournant décisif est la conférence Critical Resistance de 1998, marquée par son inclusivité (participation gratuite pour les ancien·nes détenu·es, organisation portée par des femmes et des personnes queer). Cette rencontre amorce la structuration translocale du mouvement abolitionniste et le positionnement affirmé de l’abolition féministe.
L’abolition y est pensée non seulement comme suppression d’institutions (prisons, police), mais aussi comme création d’alternatives concrètes. Ce processus, fondé sur l’expérimentation, l’imagination collective et la solidarité, est présenté comme une démarche en devenir, enracinée dans les pratiques sociales quotidiennes.
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Crucial Antecedents
Dans cette section, les autrices proposent une généalogie critique du terme « abolition » en retraçant son évolution depuis les luttes antiesclavagistes du XIXe siècle jusqu’aux mouvements contemporains. L’analogie souvent faite entre esclavage et prison est discutée : si elle a une portée politique forte, elle risque aussi d’aplanir des différences historiques cruciales. Les autrices plaident pour une lecture en termes de continuités généalogiques plutôt que de simples comparaisons.
Elles explorent également les rapports ambigus entre féminisme et antiesclavagisme, notamment le rôle de certaines femmes blanches qui, tout en militant contre l’esclavage, projetaient leur propre oppression conjugale sur celle des esclaves, en occultant leurs privilèges raciaux. Cette histoire complexe montre que le féminisme est traversé de tensions raciales et de clivages politiques depuis ses origines.
L’analyse revient sur les origines socialistes du mot « féminisme », notamment chez Charles Fourier, pour rappeler que la tradition féministe critique est aussi une critique des institutions sociales, économiques et politiques. À travers cette perspective, l’abolition féministe devient une proposition de transformation globale des structures de domination.
Enfin, les autrices convoquent l’héritage de Black Reconstruction in America de W. E. B. Du Bois pour ancrer l’abolition dans un projet démocratique radical : celui d’une société fondée sur l’égalité matérielle, la participation collective et l’émancipation des populations historiquement opprimées.
Concepts clés définis, expliqués et historicisés
"bail fund" (fonds de cautionnement)
🔹 Définition
Dispositif collectif permettant de payer la caution de personnes incarcérées en attente de procès, comme forme de solidarité face à l’injustice du système de caution monétaire.
🔹 Contexte historique
Issu des mouvements de soutien aux prisonnier·es politiques dans les années 1960-70, le modèle a été réactivé dans les années 2000 avec des initiatives comme le Black Mamas Bail Out Action.
Attica (1971)
🔹 Définition
Révolte carcérale emblématique à la prison d’Attica (New York), réprimée dans le sang, devenue un moment fondateur des luttes abolitionnistes.
🔹 Contexte historique
Elle cristallise des revendications sur la dignité, la justice raciale et les conditions de détention, tout en révélant la brutalité de l’État pénal.
"counterhegemonic discourse" (discours contre-hégémonique)
🔹 Définition
Prises de parole et pratiques qui contestent l’ordre dominant, en particulier la légitimité du système pénal et des structures d’oppression.
🔹 Contexte historique
Développé par les mouvements radicaux (Black Panthers, féministes, anticoloniaux), ce discours permet de reconfigurer les significations sociales de la prison.
Critical Resistance
🔹 Définition
Réseau abolitionniste fondé en 1998 visant à démanteler le complexe carcéro-industriel.
🔹 Contexte historique
Né de l’alliance entre activisme féministe et luttes anticarcérales, ce réseau a popularisé des alternatives éducatives, communautaires et non punitives.
"abolition feminism" (féminisme abolitionniste)
🔹 Définition
Approche politique qui lie indissociablement critique féministe et critique du système carcéral, en proposant des formes de justice transformantes.
🔹 Contexte historique
Issu des luttes de femmes noires et chicanas, théorisé par des collectifs comme INCITE!, il s’oppose au carceral feminism et valorise les alternatives communautaires.
relation généalogique (généalogie politique)
🔹 Définition
Lien structurant entre deux systèmes (esclavage/prison) fondé sur des continuités historiques de domination.
🔹 Contexte historique
Inspirée de Foucault, cette méthode permet de dépasser les comparaisons simples en rendant visibles les mutations et persistances du contrôle racial.