LA PETITE SOCIOTHÈQUE
Petites bouchées d'ouvrages militants à partager

Connecting the Struggles: An Informal Talk with Black Americans

Thèmes centraux

  • Solidarité internationale des luttes noires
  • Liens entre luttes anticoloniales et luttes antiracistes aux États-Unis
  • Conscience politique diasporique
  • Lutte révolutionnaire comme expérience partagée
  • Centralité de la dignité et de l’auto-organisation
  • Responsabilité des intellectuels et des militants noirs américains
  • Éthique de la lutte et refus de l’opportunisme

Résumé et analyse

Dans cette intervention informelle, prononcée lors d’une rencontre avec des militants afro-américains aux États-Unis au début des années 1970, Amílcar Cabral développe une réflexion sur la solidarité entre les luttes des peuples africains colonisés et celles des Noirs opprimés dans les sociétés capitalistes avancées, en particulier aux États-Unis. Il propose une lecture unifiée du combat contre l’oppression raciale, fondée sur l’expérience partagée de la domination, mais attentive aux spécificités historiques et sociales de chaque contexte.

Cabral commence par affirmer que les luttes de libération en Afrique ne peuvent être réduites à un problème local ou régional : elles font partie d’un processus global de désintégration de l’impérialisme mondial. Dans cette perspective, les Afro-Américains ne sont pas extérieurs à ce processus, mais en constituent une composante essentielle. La solidarité ne doit pas être seulement idéologique ou sentimentale, mais fondée sur l’analyse des rapports de force et sur une conscience politique diasporique.

L’un des axes centraux de l’intervention est l’appel à la responsabilité des intellectuels et des militants noirs américains. Cabral souligne que leur rôle ne peut se limiter à la dénonciation de l’oppression, mais doit consister à s’enraciner dans la réalité sociale de leur propre peuple. Il met en garde contre l’opportunisme, le carriérisme et la tentation de substituer des discours révolutionnaires à l’action réelle. La radicalité ne peut être authentique que si elle naît d’un engagement sincère et rigoureux dans la transformation des conditions matérielles d’existence.

Cabral rappelle également que la lutte, pour être véritablement révolutionnaire, doit transformer ceux qui y participent. Il insiste sur le fait que la dignité, l’auto-organisation, et la construction d’une nouvelle subjectivité politique sont au cœur de l’émancipation. À ce titre, il reconnaît l’importance des expériences de lutte des Noirs américains tout en soulignant les divergences de contexte avec les luttes de libération en Afrique, notamment sur le plan de la militarisation, de l’organisation territoriale, et de la relation à l’État.

Ce discours constitue ainsi un moment clé dans la formulation d’un internationalisme noir fondé sur la réciprocité, le respect mutuel, l’analyse des réalités spécifiques et l’engagement politique concret.

Concepts clés définis, expliqués et historicisés

Solidarité diasporique

🔹 Définition
La solidarité diasporique désigne le lien politique et historique entre les luttes des Africains sur le continent et celles des descendants d’Africains dans les Amériques, notamment aux États-Unis. Elle repose sur une conscience commune de l’oppression raciale et sur une volonté partagée d’émancipation, au-delà des différences géographiques et institutionnelles.

🔹 Contexte historique
L’idée d’une solidarité noire transnationale remonte aux mouvements panafricanistes du début du XXe siècle (W.E.B. Du Bois, Marcus Garvey), et se prolonge dans les années 1960 avec des figures comme Malcolm X, les Black Panthers, ou Stokely Carmichael (Kwame Ture). Cabral s’inscrit dans cette tradition, mais insiste sur la nécessité d’une solidarité active, fondée sur la connaissance mutuelle des conditions de lutte.

Responsabilité révolutionnaire

🔹 Définition
Il s’agit de la responsabilité morale et politique des intellectuels et militants d’agir à partir de leur propre réalité sociale, en lien avec les besoins, les attentes et les dynamiques de leur peuple. Cette responsabilité s’oppose à la posture théorique détachée ou au militantisme de façade.

🔹 Contexte historique
Cabral, en tant qu’ingénieur agronome devenu dirigeant politique, incarne cette exigence de cohérence entre pensée et action. Il critique le verbiage révolutionnaire déconnecté du terrain et met en garde les militants noirs américains contre la tentation de reproduire des discours radicaux sans enracinement réel. Cette réflexion prolonge celle de Fanon sur l’intellectuel colonisé et sa fonction dans la révolution.

Internationalisme révolutionnaire noir

🔹 Définition
Ce concept renvoie à la construction d’un front politique mondial fondé sur l’opposition commune à l’impérialisme, au racisme et à l’exploitation. Il implique un échange d’expériences, de savoirs, et de stratégies entre les différents foyers de lutte noire dans le monde.

🔹 Contexte historique
Dans les années 1960–70, les mouvements noirs américains (Black Power, Black Panthers) établissent des liens concrets avec les luttes africaines (Algérie, Guinée, Angola, Mozambique). Cabral prend ici position pour un internationalisme qui ne soit pas uniquement rhétorique, mais basé sur des engagements réels, des convergences stratégiques, et une compréhension des interdépendances historiques. Il oppose cet internationalisme à l’universalisme abstrait qui masque les rapports de domination.