New Year's Message
Thèmes centraux
- Bilan de la lutte armée et des avancées politiques du PAIGC
- Affirmation de la souveraineté populaire dans les zones libérées
- Éthique révolutionnaire et discipline politique
- Consolidation du pouvoir populaire par l’éducation et la production
- Détermination stratégique face à l’impérialisme portugais
- Rapport dialectique entre guerre, organisation sociale et dignité
- Réaffirmation de la volonté d’indépendance totale
Résumé et analyse
Dans ce message adressé aux combattants, aux populations libérées et aux soutiens internationaux à l’occasion du Nouvel An (probablement début 1973), Amílcar Cabral dresse un bilan stratégique de la lutte de libération nationale menée par le PAIGC. Ce message n’est pas une célébration formelle, mais un exercice politique de synthèse, d’orientation et de mobilisation. Il vise à renforcer la conscience politique collective, à rappeler les principes fondamentaux de la lutte, et à réaffirmer les objectifs révolutionnaires.
Cabral souligne d’abord les progrès tangibles réalisés : les forces armées populaires contrôlent la majorité du territoire de la Guinée (Bissau), une administration autonome y est en place, des écoles ont été ouvertes, des comités populaires dirigent la vie économique et sociale. Ce constat permet d’affirmer que la souveraineté populaire ne relève plus du projet mais de l’expérience concrète. La lutte armée devient ainsi le vecteur de la construction d’un nouvel ordre social, structuré par la participation directe du peuple.
Cependant, le message est aussi un appel à la vigilance. Cabral insiste sur la discipline, l’humilité, la rigueur politique et le refus du relâchement. Il dénonce toute forme d’opportunisme ou de recherche de privilèges dans les zones libérées. La révolution, rappelle-t-il, doit transformer non seulement les structures mais aussi les consciences. La libération nationale ne sera totale que si elle s’accompagne d’une libération subjective et morale.
Le message affirme également la continuité de la lutte face à un impérialisme portugais encore soutenu militairement et diplomatiquement par des puissances occidentales. Cabral appelle à l’unité, à la détermination et à la fidélité aux principes du PAIGC. Il réaffirme que l’indépendance ne sera ni négociée ni concédée, mais conquise par la souveraineté en acte et le refus de la soumission.
Ce texte, écrit peu avant son assassinat (janvier 1973), constitue l’un des derniers appels de Cabral à la lucidité politique, à la transformation révolutionnaire des rapports sociaux, et à l’inscription de la lutte dans une éthique de dignité, de discipline et de justice.
Concepts clés définis, expliqués et historicisés
🔹 Définition
Le pouvoir populaire désigne l’exercice concret de la souveraineté par les masses dans les zones libérées. Il se manifeste par l’organisation autonome de la justice, de l’éducation, de la production agricole et des structures de gouvernance à l’échelle locale. Ce pouvoir ne dérive pas d’une légitimité étatique formelle, mais de la participation directe du peuple.
🔹 Contexte historique
Dans la tradition marxiste et tiers-mondiste, le pouvoir populaire renvoie à des formes d’auto-organisation révolutionnaire opposées aux appareils bureaucratiques. Cabral, influencé par l’expérience du Viet Cong et du FLN algérien, développe une version pragmatique du pouvoir populaire, centrée sur la pédagogie politique, la rotation des responsabilités et l’ancrage local. En Guinée-Bissau, ces structures sont expérimentées dès la seconde moitié des années 1960.
🔹 Définition
L’éthique révolutionnaire désigne l’ensemble des valeurs (discipline, honnêteté, modestie, engagement, égalité) qui doivent guider les militant·es, combattant·es et dirigeant·es de la lutte. Pour Cabral, cette éthique n’est pas un supplément moral, mais une condition politique de la victoire révolutionnaire.
🔹 Contexte historique
Cette insistance sur l’éthique traverse toute l’œuvre de Cabral. Il s’oppose au militarisme aveugle, au carriérisme révolutionnaire et à la corruption interne. Ce principe rejoint les réflexions de Mao Zedong sur la « rectification » idéologique, ou celles de Thomas Sankara plus tard sur la moralisation de la politique. Cabral cherche à produire une subjectivité révolutionnaire cohérente avec les finalités émancipatrices du projet de libération.
🔹 Définition
Cabral distingue entre une indépendance concédée par la métropole coloniale (souvent après négociation ou pression extérieure) et une indépendance conquise par les masses à travers la lutte armée et l’organisation politique autonome. La première est souvent formelle et instable ; la seconde est le produit d’une transformation historique consciente.
🔹 Contexte historique
Cette idée répond aux désillusions post-indépendance dans plusieurs pays africains où la décolonisation a produit des élites néocoloniales. Cabral insiste sur le fait que seule une indépendance issue d’une praxis populaire permet d’éviter le recyclage des structures d’oppression. Cette thèse s’inscrit dans une critique plus large du néocolonialisme, formulée notamment par Kwame Nkrumah.