Chapitre 2: Feminism. - Partie 1
Thèmes centraux
- Critique de la dépendance au système pénal dans les luttes contre les violences de genre
- Affirmation du leadership des communautés noires, autochtones et racisées
- Politisation du soin et de la réparation communautaire
- Naissance d’INCITE! comme réponse féministe radicale à la violence genrée et étatique
- Refus de l’alliance entre féminisme anti-violence et institutions pénales
- Lutte contre le professionnalisme néolibéral dans les services aux victimes
- Généalogie féministe abolitionniste non blanche
- Critique de l’effacement historique dans les récits féministes dominants
- Revalorisation des stratégies politiques radicales des femmes racisées
- Liens entre luttes antiracistes, anti-impérialistes et anti-patriarcales
Résumé et analyse
The Moment of Truth
Cette section s’ouvre sur la publication de The Moment of Truth (2020), une lettre ouverte dans laquelle des féministes abolitionnistes s’adressent aux organisations anti-violence. Ce texte critique frontalement la persistance du recours aux institutions pénales dans la lutte contre les violences de genre. Selon les signataires, cette orientation renforce la marginalisation des survivant·es racisé·es, tout en perpétuant leur exposition à la violence étatique.
La lettre opère une rupture politique en appelant à rompre l’alliance entre féminisme et appareil punitif. Elle exhorte les mouvements à adopter des stratégies non punitives, centrées sur les besoins des personnes concernées et fondées sur la réparation communautaire. Elle souligne que cette transformation exige de reconnaître le coût réel du désengagement des institutions – en termes de financements, de reconnaissance et de ressources – et de s’y confronter politiquement.
Enfin, The Moment of Truth réaffirme que féminisme et abolition ne peuvent être séparés. Elle appelle à recentrer les luttes à partir des expériences des communautés noires, autochtones et racisées – non comme des « ajouts », mais comme des fondements.
--
INCITE!
Les autrices retracent ici la fondation d’INCITE! à la fin des années 1990, collectif féministe né de la colère face à la complicité croissante des organisations anti-violence avec l’État pénal. Rejetant toute réforme interne ou partenariat institutionnel, INCITE! incarne une rupture radicale. Ses militantes dénoncent la professionnalisation du secteur, la technocratisation des services, et l’occultation des causes structurelles des violences (racisme, pauvreté, patriarcat).
L’événement fondateur du collectif, The Color of Violence (2000), marque l’émergence d’un féminisme abolitionniste explicite, articulant violences interpersonnelles et violences d’État. INCITE! développe des alternatives concrètes : formes de sécurité sans police, pratiques de justice communautaire, solidarité intercommunautaire.
Les autrices insistent sur la dimension joyeuse et créative de ce féminisme : nourrir une rage partagée, construire des réseaux d’entraide, revaloriser le soin comme stratégie politique. INCITE! ne se limite pas à la critique, mais œuvre activement à l’élaboration de réponses concrètes, autonomes et transformatrices.
--
Radical Beginnings, Again
Cette section réinscrit le projet d’INCITE! dans une histoire longue des luttes menées par des femmes de couleur. Elle déconstruit les récits dominants du féminisme anti-violence, trop souvent centrés sur les femmes blanches et les institutions. Les autrices rappellent que des pratiques comme les speakouts, les groupes de parole ou les campagnes contre les violences ont été développées bien avant les années 1970 par des militantes noires, lesbiennes, autochtones ou de classe populaire.
Des initiatives comme Santa Cruz Women Against Rape (1977), Sisters Testify, ou les soutiens à Anita Hill (1991) témoignent de cette mémoire militante. Le terme women of color est présenté comme une construction politique destinée à fédérer les luttes contre l’invisibilisation systémique.
Loin de toute nostalgie, cette relecture vise à renforcer les luttes contemporaines, à éviter les pièges de l’institutionnalisation, et à affirmer que la justice ne peut être atteinte par les mêmes structures qui perpétuent la violence. Le féminisme abolitionniste se fonde ainsi sur l’histoire vivante des résistances collectives.
Concepts clés définis, expliqués et historicisés
The Moment of Truth
🔹 Définition
Lettre ouverte féministe abolitionniste publiée en 2020, appelant à rompre l’alliance avec le système pénal et à recentrer les luttes sur la justice communautaire.
🔹 Contexte historique
Inscrite dans la critique des compromissions institutionnelles, cette lettre s’appuie sur une longue tradition militante de femmes racisées dénonçant la violence étatique comme incompatible avec la protection des survivant·es.
divestment from the criminal legal system (désinvestissement du système pénal)
🔹 Définition
Retrait stratégique des ressources du système punitif pour les réinvestir dans des pratiques communautaires de soin, d’entraide et de justice.
🔹 Contexte historique
Popularisé par les mouvements abolitionnistes dans les années 2010, ce concept prolonge les appels à defund the police et remet en cause l’idée que la sécurité passe par l’État.
INCITE!
🔹 Définition
Collectif féministe abolitionniste fondé par des femmes racisées, articulant critique du système pénal et lutte contre les violences genrées.
🔹 Contexte historique
Créé à la fin des années 1990, INCITE! a marqué un tournant stratégique et théorique en rejetant toute complicité carcérale et en développant des outils pratiques de justice communautaire.
"carceral complicity" (complicité carcérale)
🔹 Définition
Phénomène par lequel des mouvements ou institutions censés protéger renforcent en réalité le système répressif.
🔹 Contexte historique
Critique développée par les féministes noires et queer au tournant des années 2000 contre le carceral feminism et la technocratisation du champ anti-violence.
"abolition feminism" (féminisme abolitionniste)
🔹 Définition
Courant féministe qui articule critique du système pénal et lutte contre les violences genrées, en proposant des alternatives transformatrices.
🔹 Contexte historique
Formalisé par des collectifs comme INCITE!, ce courant s’ancre dans les traditions féministes noires, anticoloniales et queer, refusant le recours aux institutions répressives.
"prison industrial complex" (complexe carcéral-industriel)
🔹 Définition
Réseau d’intérêts économiques et politiques structurant l’expansion des institutions pénales.
🔹 Contexte historique
Concept central des mouvements abolitionnistes, développé dans les années 1990 par Critical Resistance, pour dénoncer la fonction économique et sociale de l’incarcération de masse.