Chapitre 2: Feminism. - Partie 2
Thèmes centraux
- Cooptation du discours féministe par les institutions pénales
- Professionnalisation et blanchiment du militantisme anti-violence
- Montée du complexe industrialo-non lucratif
- Invisibilisation des victimes non conformes aux normes dominantes
- Dénonciation de l’individualisation des violences
- Politisation de la sécurité par et pour les personnes concernées
- Affirmation du lien fondamental entre abolitionnisme et justice de genre
- Réaction conservatrice aux revendications de désinvestissement policier
- Incompatibilité structurelle entre justice de genre et punitivité étatique
Résumé et analyse
Carceral Cooptation and Carceral Feminism
Cette section examine comment une partie du féminisme anti-violence, à partir des années 1990, a été absorbée par les logiques de l’État pénal. Ce processus de cooptation carcérale a transformé des organisations militantes en entités professionnelles, standardisées, souvent dominées par des femmes blanches, financées par des fonds publics et orientées vers la conformité administrative. Les autrices dénoncent ce tournant comme une rationalisation néolibérale du champ associatif.
Les objectifs initiaux de transformation sociale ont été dépolitisés : il ne s’agit plus de créer des alternatives communautaires, mais d’améliorer les institutions existantes. Cette évolution a conduit à renforcer les politiques de tolérance zéro, d’arrestation automatique, et d’incarcération, au détriment des survivant·es les plus marginalisé·es. Ces politiques, bien qu’affichant un objectif de protection, reproduisent les violences raciales, genrées et économiques.
Le nonprofit industrial complex est ici identifié comme moteur de cette dérive : en remplaçant les pratiques solidaires par des prestations de services mesurables, il impose une définition étroite et normative de la sécurité. Le féminisme dominant devient alors complice des structures punitives qu’il prétend critiquer. Le féminisme abolitionniste appelle au contraire à une réappropriation politique de la lutte contre les violences, fondée sur l’autonomie collective.
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Critical Interventions
Dans cette sous-partie, les autrices explorent les pratiques critiques élaborées par des féministes de couleur pour dépasser les impasses du féminisme carcéral. Ces interventions visent à repolitiser la lutte contre les violences de genre en la reliant aux systèmes d’oppression structurelle : racisme, validisme, pauvreté, colonialisme, transphobie. Elles refusent l’individualisation du mal et rejettent les réponses institutionnelles centrées sur le châtiment.
Ces pratiques s’ancrent dans des expérimentations locales et transnationales qui construisent des formes de sécurité collective sans police ni prison. Elles reposent sur des principes de soin, de responsabilité partagée, de justice transformatrice. En ce sens, l’abolition féministe n’est pas un refus de l’intervention, mais une redéfinition radicale de ce que signifie intervenir dans une situation de violence.
Les autrices insistent sur la nécessité de concevoir la sécurité comme un processus politique, co-construit par les communautés concernées. Cette approche élargit la portée des luttes féministes en les reliant aux conditions matérielles d’existence, et en proposant des alternatives concrètes à la punition.
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Ongoing Movements, Familiar Tensions
Cette section analyse les effets des soulèvements de 2020 sur les positionnements féministes. Si les mobilisations contre les violences policières ont rapproché certaines luttes, elles ont aussi ravivé des tensions anciennes. Une partie des organisations féministes continue à défendre les institutions pénales, en invoquant la protection des victimes. Les autrices montrent que cette posture repose sur une conception étroite de la sécurité et sur une confiance injustifiée dans les mécanismes judiciaires.
Les appels à defund the police sont caricaturés comme irréalistes, tandis que les violences structurelles de l’État pénal sont ignorées. Les figures de l’agresseur dangereux ou du crime sexuel extrême sont mobilisées pour discréditer les propositions abolitionnistes. Pourtant, les autrices rappellent que nombre de survivant·es, notamment noir·es, trans, autochtones, ou migrant·es, évitent de recourir à la police, de peur d’aggraver leur situation.
Elles introduisent le concept de carceral creep pour décrire l’expansion silencieuse du système punitif dans des domaines comme la santé, le logement ou les services sociaux. Face à cette infiltration, le féminisme abolitionniste propose une refondation de la justice autour de la solidarité, du soin, et de la responsabilité collective. Il s’agit de construire des réponses durables à la violence, sans reproduire la punition, l’exclusion ni le contrôle.
Concepts clés définis, expliqués et historicisés
carceral feminism (féminisme carcéral)
🔹 Définition
Courant féministe qui s’appuie sur les institutions pénales pour lutter contre les violences de genre, en légitimant la police et l’incarcération comme solutions.
🔹 Contexte historique
Critiqué depuis les années 2000 par les féminismes noirs et queer, ce modèle a contribué à renforcer le pouvoir de l’État punitif au nom de la protection, au prix de l’exclusion des personnes les plus vulnérables.
nonprofit industrial complex (complexe industrialo-non lucratif)
🔹 Définition
Ensemble des mécanismes par lesquels les mouvements sociaux sont transformés en prestataires de services financés, dépolitisés et intégrés aux logiques étatiques.
🔹 Contexte historique
Concept développé par INCITE! pour critiquer l’institutionnalisation des luttes féministes et antiracistes, et l’effet neutralisant des logiques de financement sur les mouvements radicaux.
intervention féministe critique
🔹 Définition
Pratique politique qui refuse la punition étatique comme réponse à la violence, et propose des alternatives communautaires ancrées dans une analyse structurelle.
🔹 Contexte historique
Élaborée à partir des années 1990 par des collectifs féministes de couleur, cette intervention se fonde sur des traditions militantes locales, intersectionnelles et expérimentales.
organizing vision of abolition feminism (vision organisationnelle du féminisme abolitionniste)
🔹 Définition
Orientation politique qui articule abolition du système pénal et justice de genre autour de pratiques collectives, de savoirs situés et d’auto-organisation communautaire.
🔹 Contexte historique
Issue de la convergence entre les luttes contre l’incarcération de masse, les violences de genre et les violences policières, cette vision se concrétise dans des réseaux transnationaux et des initiatives locales.
carceral creep (infiltration carcérale)
🔹 Définition
Extension insidieuse du pouvoir punitif dans des sphères non pénales (école, santé, logement), où la surveillance et la coercition remplacent l’accompagnement.
🔹 Contexte historique
Concept central des analyses abolitionnistes contemporaines, il met en lumière les formes invisibles de répression qui affectent les populations marginalisées sous couvert de politique sociale.
defund the police (désinvestir la police)
🔹 Définition
Mot d’ordre qui appelle à rediriger les financements alloués aux forces de l’ordre vers des infrastructures de soin, de solidarité et de justice communautaire.
🔹 Contexte historique
Formalisé après les mobilisations de 2020, ce mot d’ordre s’inscrit dans une tradition plus ancienne portée par Critical Resistance, INCITE!, et d’autres mouvements abolitionnistes.