Chapitre 3: Now. - Partie 1
Thèmes centraux
- Mobilisations féministes abolitionnistes pendant la pandémie de COVID-19
- Intersection des luttes sanitaires, raciales et carcérales
- Défaillances systémiques de l’État face aux crises sanitaires en prison
- Meurtre de Laquan McDonald et mobilisation communautaire
- Invisibilisation des violences policières systémiques
- Impunité institutionnelle et échec structurel de la justice pénale
- Pratiques populaires de justice réparatrice et éducation politique
- Refus du système pénal comme réponse légitime à la violence
- Transmission intergénérationnelle d’outils abolitionnistes
- Temporalité lente, durable et nécessaire du changement abolitionniste
Résumé et analyse
Pandemic Mobilization and Feminist Praxis
Cette section s’ouvre sur une action menée durant la pandémie : une caravane de voitures encerclant la prison de Stateville pour exiger la libération de personnes incarcérées face à l’urgence sanitaire. Cette initiative, portée par des militantes féministes abolitionnistes, symbolise l’articulation entre soin, urgence et solidarité. Elle incarne une politique du présent, qui refuse l’abandon des populations incarcérées et l’idée que certaines vies peuvent être sacrifiées.
Les autrices analysent la pandémie comme révélatrice — et non génératrice — des violences systémiques déjà existantes : privatisation des soins, medicalisation punitive, négligence institutionnelle. La prison apparaît comme un lieu de gestion différenciée de la santé, où le traitement des personnes est lié à leur punition. Ces violences sont pensées comme structurelles, et non accidentelles.
Cette mobilisation ancre le féminisme abolitionniste dans le terrain : les actrices sont souvent d’anciennes détenues ou proches de personnes incarcérées. Elles incarnent une politique du « maintenant » fondée sur la vie quotidienne, le refus du fatalisme et la mise en œuvre concrète d’alternatives collectives.
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Violence of Policing
Les autrices reviennent ici sur l’assassinat de Laquan McDonald par un policier blanc à Chicago, et sur la dissimulation institutionnelle qui l’a suivi. Loin de se concentrer sur un cas isolé, elles replacent cet événement dans une analyse structurelle : la violence policière n’est pas exceptionnelle, mais systémique. Elle prend des formes visibles et spectaculaires, mais aussi diffuses, lentes et administratives.
Cette slow violence comprend les politiques sociales coercitives, les tests imposés, les contrôles constants. Le policing est ici pensé comme une fonction sociale partagée par plusieurs institutions, dépassant le cadre strictement policier. Le concept de « pandémie sociale » est mobilisé pour illustrer cette omniprésence du contrôle.
Les autrices dénoncent également l’illusion produite par les rares condamnations de policiers : elles servent de soupape sans remettre en cause les structures de la violence d’État. L’abolition appelle ici à dépasser l’indignation et la réparation individuelle, pour construire des formes de justice qui ne reposent pas sur la punition.
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Feminist Genealogies
Dans cette section, les autrices explorent les pratiques abolitionnistes développées à Chicago au tournant des années 2000, notamment à travers le Young Women’s Empowerment Project (YWEP). Ce collectif, composé de jeunes femmes racisées impliquées dans les économies de rue, a produit des stratégies autonomes de réduction des risques, d’éducation populaire et de justice communautaire.
Leur slogan « nous ne sommes pas le problème — nous sommes la solution » synthétise une posture politique radicale, refusant la victimisation tout en dénonçant les violences systémiques. Ces initiatives, bien que souvent hors des circuits institutionnels, ont influencé durablement les luttes féministes et abolitionnistes contemporaines.
Les autrices insistent sur la lenteur comme temporalité politique : la construction d’un monde abolitionniste ne passe pas par des réformes immédiates, mais par un patient travail de lien, de mémoire, de soin. Ce temps lent est celui de l’ancrage local, de la transmission intergénérationnelle et de l’expérimentation durable.
Concepts clés définis, expliqués et historicisés
car caravan protests (caravanes militantes)
🔹 Définition
Forme de protestation durant la pandémie consistant à manifester en voiture autour des prisons pour demander des libérations.
🔹 Contexte historique
Pratique développée dès mars 2020 aux États-Unis, ancrée dans des traditions féministes abolitionnistes de protestation à distance des lieux d’enfermement.
indivisibility of abolition and feminism (indivisibilité de l’abolition et du féminisme)
🔹 Définition
Principe selon lequel on ne peut penser les luttes féministes sans critique du système pénal, et inversement.
🔹 Contexte historique
Formulé dès les années 1990 par des militantes comme Angela Davis et les collectifs INCITE! et Critical Resistance.
"slow violence" (violence lente)
🔹 Définition
Violence insidieuse, bureaucratique, souvent invisible, qui agit dans la durée sur les populations marginalisées.
🔹 Contexte historique
Concept théorisé par Rob Nixon, mobilisé pour penser les formes non spectaculaires de la répression, notamment dans le contexte des politiques sociales punitives.
"blue wall of silence" (mur du silence bleu)
🔹 Définition
Solidarité tacite entre policiers visant à protéger leurs collègues, même en cas d’abus ou de crimes.
🔹 Contexte historique
Documenté dans de nombreux cas de violences policières, ce mur d’impunité structure l’impossibilité de rendre justice via les mécanismes internes.
Young Women’s Empowerment Project (YWEP)
🔹 Définition
Collectif de jeunes femmes de couleur à Chicago engagé dans des pratiques de soin, d’éducation populaire et de réduction des risques.
🔹 Contexte historique
Actif de 2002 à 2013, ce projet a anticipé les principes du féminisme abolitionniste contemporain en développant des réponses concrètes hors des institutions.
slow time of abolition (temps lent de l’abolition)
🔹 Définition
Temporalité politique propre aux luttes abolitionnistes : transformation structurelle progressive fondée sur la patience, la continuité et le lien communautaire.
🔹 Contexte historique
Opposé à la logique réformiste immédiate, ce temps lent valorise les apprentissages collectifs et les stratégies locales dans la durée.