Conclusion
Thèmes centraux
- Temporalités non linéaires de la transition et de l’identité.
- Opacité méthodologique comme choix politique.
- Lien entre transness, blackness et conditions matérielles de lisibilité.
- Histoire contre-historique et critique de l’archive.
- Généalogies transversales et formes d’existence au-delà de la visibilité.
- Abandon des logiques de reconnaissance libérale.
- Interstices entre être, langage et politique.
Résumé et analyse
Résumé conceptuel
Dans sa conclusion, Snorton revient sur la visée politique et méthodologique de l’ouvrage : Black on Both Sides ne cherche pas à fournir une histoire complète ou linéaire de l’identité trans noire, mais à en déconstruire les régimes de savoir. L’auteur affirme que son projet n’est pas une histoire au sens traditionnel, mais une série de propositions politiques et théoriques sur ce que signifie penser l’histoire depuis des expériences marginalisées, souvent absentes des archives formelles. Le terme de transitivité est mobilisé pour désigner une logique du passage, du changement, mais aussi de la substituabilité — entre les signes, les corps, et les récits — tandis que la transversalité indique des relations obliques, non hiérarchiques et parfois invisibles entre les champs de savoir.
Plutôt que de rechercher des correspondances explicites entre “black” et “trans”, Snorton montre que ces deux catégories se construisent historiquement dans un rapport d’interdépendance opaque, forgé à travers l’esclavage, la médecine, la littérature, les archives judiciaires et les récits de presse. Il invoque Édouard Glissant pour revendiquer un “droit à l’opacité” – c’est-à-dire une politique du non-rendu-visible qui rompt avec la logique moderne de transparence, de classification et de lisibilité. En ce sens, la fin de l’ouvrage ne cherche pas à conclure, mais à “faire trace” dans un champ de tensions où le langage lui-même se montre insuffisant à dire l’expérience noire trans.
Analyse théorique
Le geste théorique majeur de Snorton dans cette conclusion est de proposer une reconfiguration du rapport entre savoir, histoire et pouvoir à partir des épistémologies critiques noires et trans. Il rejette les outils normatifs de l’historiographie (continuité, linéarité, objectivité) au profit de ce qu’il nomme une généalogie collatérale : une lecture latérale, fragmentaire, des archives, attentive à ce qui est invisible, illégitime ou disqualifié. Cette approche convoque Sylvia Wynter, Hortense Spillers et Saidiya Hartman, pour montrer que la condition noire et trans n’est pas seulement une exclusion de l’histoire, mais une condition d’impossibilité de l’histoire telle qu’elle se conçoit dans la modernité occidentale.
Ce refus du “trans” comme simple changement de genre, et du “black” comme simple catégorie raciale, ouvre sur une critique de l’ontologie moderne elle-même. Pour Snorton, la double exclusion — raciale et genrée — rend nécessaire une refondation des conditions mêmes du sujet. Cette refondation passe par un usage poétique, instable et non téléologique de l’archive, par une attention portée aux silences, aux négations, aux “ombres” laissées par les récits dominants.
Enfin, Snorton insiste sur l’impossibilité d’une histoire “innocente” ou “neutre” : écrire sur la condition trans noire, c’est écrire dans l’après-coup de la violence, mais aussi dans l’ouverture d’un espace pour penser des formes de vie qui n’ont jamais été censées exister — et qui, pourtant, persistent.
Concepts clés définis, expliqués et historicisés
Transitivité
🔹 Définition
Snorton utilise la notion de transitivité pour désigner les mouvements de passage, de transfert et de substitution entre corps, identités et récits. Contrairement à une transition fixe ou identitaire, la transitivité implique des formes de déplacement qui ne visent pas la stabilité, mais l’ouverture.
🔹 Contexte historique
En grammaire, la transitivité est la relation entre un sujet, un verbe et un objet. Snorton s’approprie ce terme pour penser une logique relationnelle dans laquelle les sujets racialisés et genrés sont toujours pris dans des chaînes d’assignation, de déplacement, ou de remplacement.
Transversalité
🔹 Définition
La transversalité désigne une forme de relation oblique, non hiérarchique et non linéaire entre différentes expériences, savoirs et subjectivités.
🔹 Contexte historique
Le concept est associé aux philosophies de la différence (Guattari, Glissant), à la psychanalyse politique et aux épistémologies critiques queer et noires.
Droit à l’opacité
🔹 Définition
Le droit à l’opacité est une revendication de non-lisibilité, formulée contre l’injonction à la transparence qui gouverne la reconnaissance libérale.
🔹 Contexte historique
Formulé par Édouard Glissant dans Poétique de la relation (1990), le droit à l’opacité critique l’universalisme occidental et affirme la légitimité des formes de vie qui échappent à la compréhension standardisée.
Généalogie collatérale
🔹 Définition
Snorton propose cette expression pour désigner un mode d’écriture de l’histoire non central, non téléologique, attentif aux fragments, aux non-dits et aux traces latérales.
🔹 Contexte historique
Inspirée de la généalogie foucaldienne et de la pensée de Sylvia Wynter, cette approche vise à défaire les récits totalisants pour rendre visibles d’autres configurations du sujet.