Colonization and Christianization
Thèmes centraux
- Colonisation comme extension des logiques de l’accumulation primitive
- Utilisation de la christianisation pour imposer une discipline coloniale
- Répression des sexualités et des savoirs corporels indigènes
- Parallèle entre la chasse aux sorcières européenne et la répression des femmes autochtones
- Construction coloniale de la “sauvagerie” comme justification de la violence
- Destruction des structures communautaires et reproductive des sociétés indigènes
- Féminisation de la colonie comme espace à civiliser et dominer
Résumé et analyse
Dans ce dernier chapitre, Silvia Federici analyse la manière dont les logiques de répression genrée et corporelle, mises en place en Europe à l’époque de la transition capitaliste, sont transposées et intensifiées dans les colonies du “Nouveau Monde”. Elle insiste sur le fait que la colonisation n’est pas un phénomène périphérique, mais au contraire constitutif de la formation du capitalisme, et que les femmes indigènes occupent une place centrale dans cette dynamique.
La conquête est accompagnée d’une entreprise de christianisation violente, qui prend la forme d’une guerre culturelle contre les cosmologies, sexualités, connaissances médicinales et rapports au corps des peuples colonisés. Les femmes sont particulièrement ciblées : elles sont à la fois sexualisées, diabolisées et présentées comme responsables de la “barbarie” des sociétés indigènes. Cette représentation légitime leur répression, leur rééducation chrétienne et leur instrumentalisation reproductive.
Federici établit un parallèle explicite entre la chasse aux sorcières en Europe et les politiques coloniales d’évangélisation et de contrôle des femmes indigènes. Dans les deux cas, il s’agit de briser les formes d’autonomie corporelle et sociale pour permettre l’imposition d’un ordre disciplinaire au service de l’exploitation économique. Le corps des femmes colonisées devient un terrain d’appropriation symbolique et matérielle, garant de la reproduction du pouvoir colonial.
Ce chapitre déplace l’analyse du capitalisme de l’espace européen vers l’espace colonial, tout en montrant leur articulation historique. Il constitue une contribution majeure à une lecture féministe et anticoloniale du capitalisme comme système mondial, fondé sur la destruction des formes de vie autonomes, en particulier celles qui remettent en cause la division genrée et raciale du travail.
Federici élabore ici une critique de l’humanisme chrétien comme idéologie de domination, où la “conversion” justifie le massacre, la capture des corps, et leur reconfiguration selon les normes du colonisateur. Elle montre que les femmes indigènes sont à la fois le symbole du chaos à éradiquer et les instruments d’un ordre social nouveau, organisé selon les logiques du travail reproductif contrôlé.
La “sorcière” européenne et la “femme indigène” colonisée sont deux figures complémentaires d’une même politique de répression genrée, destinée à assujettir la reproduction au pouvoir capitaliste et étatique. Le chapitre ouvre ainsi vers une perspective transversale, où les logiques de genre, de race et de classe sont indissociables dans la constitution du capitalisme mondial.
Concepts clés définis, expliqués et historicisés
[Christianisation coloniale]
🔹 Définition Processus par lequel les puissances coloniales imposent le christianisme aux peuples colonisés, en lien étroit avec les objectifs politiques, économiques et sociaux de la conquête. Elle implique la répression des croyances indigènes et la reconfiguration des rapports sociaux selon les normes européennes.
🔹 Contexte historique Dès le XVe siècle, l’Église joue un rôle central dans la colonisation des Amériques, en accompagnant les conquistadors et en imposant la conversion forcée. Federici montre que cette christianisation cible particulièrement les femmes et leur sexualité, dans une logique de domestication et de reproduction disciplinée.
🔹 Définition Construction idéologique et politique des corps indigènes, et particulièrement des femmes, comme objets de désir, de peur et de contrôle. Elle associe la “sauvagerie” à une sexualité perçue comme excessive, immorale ou démoniaque.
🔹 Contexte historique Utilisée pour justifier les violences sexuelles, les rééducations et les réorganisations du rôle des femmes indigènes. Federici analyse cette sexualisation comme parallèle à la diabolisation des femmes européennes, avec pour objectif commun le contrôle de la reproduction et de la subjectivité féminine.
🔹 Définition Représentation symbolique de la colonie comme un corps féminin passif, sauvage ou dangereux, à conquérir, civiliser et contrôler. Cette féminisation légitime l’intervention violente du pouvoir colonial, qui se positionne comme protecteur, maître ou père.
🔹 Contexte historique Fréquente dans les discours de conquête, les récits de voyages et la propagande missionnaire. Federici montre que cette imagerie naturalise la domination, et inscrit le colonialisme dans une matrice genrée où les peuples colonisés sont infantilisés, sexualisés et soumis à la discipline patriarcale.