LA PETITE SOCIOTHÈQUE
Petites bouchées d'ouvrages militants à partager

The Great Witch Hunt In Europe

Thèmes centraux

  • Chasse aux sorcières comme stratégie politique de répression

  • Sexualisation et criminalisation du corps féminin

  • Destruction des formes d’autonomie reproductive

  • Extension du contrôle étatique sur la reproduction sociale

  • Terreur disciplinaire comme outil de restructuration du travail

  • Production de la figure de la sorcière comme menace sociale

  • Articulation entre misogynie, Église et capitalisme

Résumé et analyse

Ce chapitre examine la chasse aux sorcières en Europe entre les XVe et XVIIe siècles comme une entreprise politique de répression systémique visant les femmes. Silvia Federici rejette l’interprétation de la sorcellerie comme simple superstition ou résidu médiéval, pour en proposer une lecture matérialiste et politique. Elle soutient que la persécution des “sorcières” a été une réponse organisée à la crise du régime féodal, à la montée du capitalisme, et aux résistances populaires, notamment celles des femmes à la nouvelle organisation du travail reproductif.

Les femmes accusées sont majoritairement pauvres, âgées, célibataires ou veuves — c’est-à-dire situées hors des normes familiales patriarcales — et souvent dotées de savoirs médicaux ou liés à la reproduction. La figure de la sorcière devient l’ennemie intérieure du nouvel ordre moral et productif. La torture, les procès, les exécutions publiques ont un double objectif : terroriser les femmes et briser leur autonomie, notamment reproductive et communautaire.

Federici montre que cette répression est simultanée à l’appropriation croissante de la reproduction par l’État et à la montée de discours sur le contrôle démographique. La chasse aux sorcières fonctionne donc comme un dispositif central dans l’accumulation primitive, assurant que les femmes soient réduites à un rôle reproductif strictement contrôlé, sous domination masculine.

Federici opère ici une rupture avec les lectures anthropologiques ou psychanalytiques de la chasse aux sorcières, en insistant sur son rôle structurant dans l’émergence du capitalisme. Elle démontre que la violence d’État dirigée contre les femmes est au cœur du processus de formation des rapports capitalistes de genre. Le capitalisme ne se contente pas d’exploiter le travail ; il restructure en profondeur les conditions de la reproduction sociale.

Le chapitre met en lumière la manière dont la misogynie systémique a été organisée pour répondre à des objectifs économiques et politiques précis : briser les formes de savoirs alternatifs, disqualifier les solidarités féminines, instaurer un ordre reproductif soumis au patriarcat et à l’État. La répression des sorcières ne vise pas des pratiques ésotériques, mais l’autonomie féminine dans toutes ses dimensions : sexuelle, médicale, économique, symbolique.

Cette analyse réinscrit le corps des femmes comme terrain central des luttes de classe, et souligne que la réorganisation du travail reproductif s’est opérée par la terreur, et non par un processus neutre de modernisation.

Concepts clés définis, expliqués et historicisés

[Chasse aux sorcières]

🔹 Définition
Campagne de persécution et d’exécution massive de femmes accusées de sorcellerie, justifiée par des motifs religieux mais ayant une fonction politique de répression.
🔹 Contexte historique
Elle atteint son pic entre 1450 et 1650. Federici montre qu’elle accompagne les transformations économiques majeures, et notamment l’émergence d’un ordre patriarcal capitaliste.

[Savoir gynécologique populaire]

🔹 Définition
Connaissances empiriques, transmises de manière communautaire, sur le corps des femmes, la sexualité, la grossesse, l’avortement et les plantes médicinales.
🔹 Contexte historique
Souvent associées aux guérisseuses ou “sorcières”, ces pratiques sont ciblées par les autorités comme dangereuses. Leur destruction vise à soumettre la reproduction à l’autorité masculine et étatique.

Répression reproductive

🔹 Définition
Contrôle politique, moral et légal de la reproduction biologique, en particulier celle des femmes, au profit de l’ordre capitaliste.
🔹 Contexte historique
Elle s’opère à travers lois, institutions, persécutions. Federici l’analyse comme un mécanisme de capture de la force de travail future et de destruction des formes alternatives de filiation ou de communauté.

[Terreur disciplinaire]

🔹 Définition
Usage de la peur, de la violence exemplaire, des châtiments publics comme moyens de produire l’obéissance et l’ordre.
🔹 Contexte historique
Elle prend la forme des bûchers de sorcières, mais aussi des punitions contre les mendiants ou vagabonds. Elle permet l’instauration d’un nouveau régime de travail forcé et de conformité morale.