Introduction
Thèmes centraux
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Relecture féministe de l’accumulation primitive
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Critique du marxisme androcentré dans l’analyse de la transition au capitalisme
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Rôle central du corps féminin dans les dynamiques d’exploitation
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Réévaluation politique de la chasse aux sorcières
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Articulation entre capitalisme, patriarcat et colonialisme
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Reproduction comme site stratégique d'accumulation
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Actualité des formes de violence primitive dans le néolibéralisme global
Résumé et analyse
L’introduction expose les fondements théoriques et politiques de l’ouvrage. Silvia Federici inscrit sa démarche dans la tradition des analyses critiques de la transition au capitalisme, mais en en proposant une relecture féministe centrée sur le corps et la reproduction. Elle reprend le concept marxiste d’accumulation primitive pour montrer que la montée du capitalisme ne peut être comprise qu’en intégrant la transformation violente des rapports de genre et l’attaque systématique contre les formes d'autonomie des femmes. L’élément central de cette reconfiguration est la chasse aux sorcières, qui, selon elle, doit être comprise comme un moment fondamental du processus d’accumulation capitaliste, au même titre que l’expropriation des paysans européens ou la colonisation.
Elle critique la perspective de Marx pour son centrage sur le prolétariat masculin et l’économie marchande, en montrant que cela invisibilise les processus de transformation de la reproduction et la mise en travail non rémunéré des femmes. Elle intègre aussi les apports de la pensée féministe (en particulier du mouvement Wages for Housework) pour souligner l’importance du travail reproductif dans l’économie politique capitaliste.
L’introduction opère une double rupture : d’une part avec l’historiographie marxiste qui néglige le rôle des femmes dans la formation du capitalisme, d’autre part avec les lectures culturalistes ou essentialistes du patriarcat. En affirmant que le corps féminin est au capitalisme ce que l’usine est à l’ouvrier masculin, Federici propose une redéfinition de la classe à partir de l’analyse des rapports sociaux de reproduction.
Elle articule son analyse avec les critiques adressées à Michel Foucault, dont elle conteste l’aveuglement aux rapports de genre dans sa théorie du biopouvoir et de la discipline. Par contraste, Federici insiste sur le caractère genré de la violence étatique et sur l’importance des processus d’appropriation reproductive dans la constitution du sujet féminin moderne.
L’introduction engage également une lecture politique contemporaine de la “transition” : la mondialisation néolibérale actuelle reproduit, selon elle, les logiques de l’accumulation primitive, notamment par la destruction des communs, la violence contre les femmes, et la reconfiguration patriarcale du travail et de la reproduction à l’échelle globale.
Concepts clés définis, expliqués et historicisés
🔹 Définition Processus de fondation du capitalisme reposant sur l’expropriation violente des moyens de subsistance (terres, corps, travail), y compris dans la sphère reproductive. Dans le texte, ce concept est élargi au-delà de Marx pour inclure la persécution des femmes et la transformation du travail domestique non payé en pilier structurel de l’accumulation capitaliste.
🔹 Contexte historique Introduit par Karl Marx dans Le Capital, le concept désigne les conditions historiques précédant le capitalisme industriel (enclosures, colonisation, esclavage). Federici le revisite à la lumière des luttes féministes et postcoloniales, en intégrant les violences sexuelles, la destruction des savoirs reproductifs féminins et la hiérarchisation genrée du travail comme éléments constitutifs de cette accumulation originelle.
🔹 Définition Ensemble des activités (biologiques, matérielles, affectives) assurant la production et la reproduction de la force de travail. Dans l’analyse de Federici, la reproduction devient un lieu central de l’exploitation capitaliste, là où s’opèrent la naturalisation et la gratuité du travail des femmes.
🔹 Contexte historique Thématisée par le courant féministe matérialiste des années 1970, notamment le mouvement Wages for Housework. Le concept se structure en opposition à une économie politique centrée sur la production visible et salariée. Federici le mobilise pour reconfigurer les bases mêmes de l’analyse de classe et montrer que le capital repose tout autant sur la reproduction que sur la production.
Sorcière
🔹 Définition Figure historique et politique représentant la femme insoumise, indépendante, détentrice de savoirs reproductifs. La sorcière est, pour Federici, le symbole du corps féminin à discipliner pour instaurer l’ordre capitaliste patriarcal.
🔹 Contexte historique Entre les XVIe et XVIIe siècles, des centaines de milliers de femmes sont exécutées pour sorcellerie en Europe et dans les colonies. L’historiographie féministe réinterprète ces chasses non comme une survivance médiévale, mais comme une opération politique visant à contrôler la sexualité, la fertilité et la transmission de savoirs féminins. Federici en fait un des moments fondateurs du capitalisme.