LA PETITE SOCIOTHÈQUE
Petites bouchées d'ouvrages militants à partager

All the World Needs a Jolt

Thèmes centraux

  • Luttes populaires médiévales contre l’exploitation féodale

  • Crise politique de l’ordre seigneurial au XIVe siècle

  • Déconstruction du récit de la transition pacifique au capitalisme

  • Résistance collective comme moteur de la transformation historique

  • Répression de l’autonomie paysanne et urbaine

  • Préfiguration des logiques d’accumulation primitive

  • Lutte pour le commun et désintégration des communautés rurales

Résumé et analyse

Ce chapitre analyse les luttes sociales majeures qui ont secoué l’Europe médiévale aux XIIIe et XIVe siècles, soulignant que la transition au capitalisme ne résulte pas d’un développement économique interne mais d’une crise politique profonde provoquée par des résistances populaires massives. Silvia Federici insiste sur l’intensité et la diffusion des révoltes paysannes, des hérésies, des mouvements de femmes et des tentatives d’autogouvernement urbain qui mettent en péril l’autorité féodale et ecclésiastique.

Elle explore les grandes insurrections du XIVe siècle (Angleterre, Italie, France, Flandre), les mouvements millénaristes, les communautés hérétiques et les expériences égalitaires éphémères. Ces mobilisations traduisent une conscience de classe embryonnaire et un refus du travail servile, de la dîme et de l’exploitation seigneuriale. Elles expriment également une tentative de recomposition des conditions de reproduction sociale hors des formes dominantes.

Face à cette instabilité, les classes dominantes réagissent par une intensification de la répression : guerres, famines, criminalisation du vagabondage, reconfiguration des lois du travail. Federici montre que cette contre-offensive disciplinaire constitue la matrice de l’accumulation primitive, bien avant l’émergence du capitalisme industriel.

Federici opère une critique directe du récit libéral et économiste d’une transition “naturelle” ou économiquement déterminée vers le capitalisme. En restituant la centralité des luttes collectives populaires, elle souligne que l’histoire économique est inséparable des rapports de force politiques. Ce chapitre montre comment les résistances paysannes et urbaines ont menacé l'ordre féodal et forcé les classes dirigeantes à réorganiser les rapports sociaux à travers une violence politique de masse.

Elle oppose ainsi au déterminisme économique une lecture politique de la transformation : l’avènement du capitalisme est présenté comme une contre-révolution, visant à briser les formes d’autonomie communautaire, les solidarités rurales et les formes alternatives de reproduction. Cette relecture fait apparaître la destruction des communs et l’émergence d’un appareil juridique répressif (notamment contre les pauvres) comme des éléments constitutifs du projet capitaliste naissant.

Le chapitre insiste enfin sur le rôle des femmes dans ces mouvements, souvent ignoré par l’historiographie, et sur la manière dont leur autonomie économique et reproductive a été ciblée dans les stratégies de répression, préfigurant la future chasse aux sorcières.

Concepts clés définis, expliqués et historicisés

Communs

🔹 Définition Ressources naturelles, productives ou sociales partagées et gérées collectivement par des communautés rurales ou urbaines. Dans le chapitre, ils désignent les bases matérielles de l’autonomie paysanne, que les révoltes défendent contre leur appropriation par les seigneurs et les États.

🔹 Contexte historique Les communs sont essentiels dans les sociétés médiévales : terres, forêts, pâturages, droits d’usage. Leur expropriation progressive (par enclosure ou criminalisation) constitue un pilier de l’accumulation primitive. La destruction des communs marque la transition vers une économie fondée sur la propriété privée et le travail salarié.

[Criminalisation du vagabondage]

🔹 Définition Institution d’un ensemble de lois répressives contre les individus sans emploi fixe, perçus comme dangereux pour l’ordre social. Ce dispositif sert à forcer les pauvres à se soumettre au travail contraint et à détruire les formes de mobilité autonome.

🔹 Contexte historique Apparaît en Europe au XIVe siècle, notamment après la peste noire, lorsque la main-d’œuvre devient rare et mobile. Ces lois visent à briser le refus du travail salarié et à encadrer juridiquement la population pauvre, en la désignant comme déviante. Elles préfigurent les politiques coercitives des États modernes.

Hérésie

🔹 Définition Doctrine religieuse dissidente de l’Église catholique, souvent portée par des mouvements populaires de contestation de l’autorité spirituelle et sociale. Dans le texte, elle exprime une critique de l’ordre établi et propose parfois des formes alternatives de vie collective.

🔹 Contexte historique Nombreux mouvements hérétiques entre le XIIe et le XIVe siècle (cathares, vaudois, mouvements millénaristes). Ils sont violemment réprimés par l’Inquisition. Federici les interprète non seulement comme phénomènes religieux, mais comme composantes d’une résistance sociale aux structures de domination féodale.