LA PETITE SOCIOTHÈQUE
Petites bouchées d'ouvrages militants à partager

Back to the Future

Thèmes centraux

  • Persistance des logiques d’exploitation dans l’économie cotonnière contemporaine

  • Externalisation mondiale de la production textile dans les pays à bas salaires

  • Néo-impérialisme économique sans domination politique directe

  • Délocalisation industrielle et fragmentation des chaînes de valeur

  • Rôle des États dans la protection du capital et la gestion des travailleurs

  • Conditions de travail dans les usines du XXIe siècle : continuité avec le passé

  • Le coton comme prisme de lecture du capitalisme globalisé actuel

Résumé et analyse

Dans l’épilogue, Beckert opère un retour sur le présent en replaçant l’économie contemporaine du coton dans la longue durée historique qu’il a retracée tout au long de l’ouvrage. Loin d’un récit de modernisation linéaire, il souligne les continuités profondes entre les formes actuelles de production et celles du passé impérial ou esclavagiste. Le capitalisme du XXIe siècle, bien qu’habillé du langage des droits, des contrats et du marché libre, repose toujours sur l’exploitation brutale d’une main-d’œuvre précarisée, invisibilisée, et fortement contrainte.

L’auteur décrit comment les grandes multinationales du textile ont externalisé la production vers des pays où les salaires sont extrêmement bas, les syndicats réprimés, et les protections sociales inexistantes : Bangladesh, Vietnam, Pakistan, Chine, Afrique subsaharienne. Il montre que cette délocalisation ne s’est pas faite de manière « naturelle », mais par des politiques concertées : ouverture des marchés, pression du FMI et de la Banque mondiale, transformation des législations du travail.

Beckert mobilise ici la notion de néo-impérialisme économique pour désigner un ordre mondial où les anciennes puissances coloniales ne gouvernent plus directement, mais où les firmes transnationales et les institutions financières mondiales reproduisent des hiérarchies similaires à travers le commerce, la dette, et la sous-traitance. Le coton, toujours produit massivement dans les Suds, est traité dans des usines qui rappellent par bien des aspects les filatures du XIXe siècle : longues heures, bas salaires, surveillance, absence de protection.

Enfin, Beckert insiste sur le rôle des États modernes, non plus comme moteurs directs de l’exploitation, mais comme garant du bon fonctionnement de l’économie globale au service du capital : régulation des monnaies, sécurisation des chaînes logistiques, maintien de l’ordre public, et parfois répression des mouvements ouvriers. Il conclut que l’histoire du coton n’est pas un passé révolu, mais une structure persistante du capitalisme mondial.

Concepts clés définis, expliqués et historicisés

Délocalisation industrielle

🔹 Définition Transfert d’activités de production industrielle vers des pays à bas coût de main-d’œuvre, permettant aux entreprises de maximiser leur rentabilité en réduisant les charges salariales et réglementaires.

🔹 Contexte historique Accélérée à partir des années 1970 avec la mondialisation néolibérale, la délocalisation est une réponse du capitalisme à la montée des coûts dans les pays industrialisés. Dans l’industrie du coton, elle reconstruit une division mondiale du travail proche de celle du XIXe siècle, tout en fragmentant les chaînes de production à l’échelle planétaire.

Néo-impérialisme économique

🔹 Définition Forme de domination globale dans laquelle les rapports d’exploitation ne passent plus par une occupation coloniale directe, mais par des mécanismes économiques (commerce inégal, dette, sous-traitance, droit commercial international).

🔹 Contexte historique Après la décolonisation formelle du XXe siècle, les pays du Nord conservent leur hégémonie par l’intermédiaire des institutions financières internationales, des accords de libre-échange et du pouvoir des firmes transnationales. Le coton, dans ce cadre, reste produit dans les périphéries au bénéfice des centres industriels ou commerciaux, reproduisant les logiques de subordination héritées de l’époque impériale.

Sous-traitance globale (global subcontracting)

🔹 Définition Organisation productive dans laquelle les grandes entreprises externalisent la fabrication à des fournisseurs souvent situés dans le Sud global, réduisant ainsi leur responsabilité directe sur les conditions de travail tout en gardant le contrôle sur les prix et les délais.

🔹 Contexte historique Ce modèle, généralisé à partir de la fin du XXe siècle, permet aux firmes occidentales (H&M, Zara, Walmart, etc.) de maintenir des marges élevées tout en transférant les risques sur des producteurs locaux. Beckert montre que cette forme d’organisation est une extension contemporaine du capitalisme impérial, masqué par des formes contractuelles prétendument égalitaires.

Travail précaire mondialisé

🔹 Définition Forme de travail caractérisée par l’absence de stabilité, de droits sociaux, de protection juridique, et de pouvoir syndical, généralement localisée dans les ateliers textiles du Sud global.

🔹 Contexte historique Dans les usines de textile d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique latine, des millions de travailleur·ses (souvent des femmes) sont employés dans des conditions proches du XIXe siècle. Beckert insiste sur la continuité des formes d’exploitation, révélant que le capitalisme global contemporain n’est pas l’abolition du passé impérial, mais sa mutation.