LA PETITE SOCIOTHÈQUE
Petites bouchées d'ouvrages militants à partager

Mobilizing Industrial Labor

Thèmes centraux

  • Constitution d’une main-d’œuvre industrielle stable et docile en Europe et aux États-Unis

  • Prolétarisation des populations rurales dans les centres industriels

  • Contrôle disciplinaire et social des ouvrier·ères du coton

  • Hiérarchies de genre, d’âge et de race dans les usines

  • Résistances ouvrières et formes de mobilisation collective

  • Rôle de l’État dans l’encadrement du travail industriel

  • Construction d’un ordre capitaliste industriel par l’intégration du travail libre sous contrainte

Résumé et analyse

Ce chapitre se concentre sur les efforts déployés par les capitalistes du textile pour mobiliser et discipliner une main-d’œuvre industrielle dans les centres de production cotonnière. Beckert démontre que la disponibilité d’ouvrier·ères ne va pas de soi : il a fallu les arracher à des économies rurales, souvent autonomes, par l’expropriation foncière, la fiscalité, la paupérisation et la coercition légale. Ce processus de prolétarisation est au cœur de la consolidation du capitalisme industriel au XIXe siècle.

L’auteur décrit les conditions sociales et matérielles des ouvrier·ères dans les usines de coton – notamment en Angleterre, aux États-Unis, en Suisse et en France – en insistant sur la surveillance constante, les cadences, la temporalité rigide, et les mécanismes de contrôle social. Le factory system impose une nouvelle organisation du temps et du comportement, imposant l’intériorisation de normes disciplinaires strictes. Les enfants, les femmes et les migrant·es sont mobilisé·es massivement, selon des logiques d’exploitation différenciée.

Beckert souligne également les résistances à cette mobilisation : grèves, bris de machines, fuites, refus du travail. Ces luttes conduisent progressivement à l’émergence de formes de mobilisation collective : syndicats, coopératives, partis ouvriers. Mais cette résistance est aussi intégrée par le capitalisme sous forme de compromis sociaux (réglementation du travail des enfants, limitation des heures de travail) qui permettent d’assurer la stabilité de la main-d’œuvre.

L’État joue ici un rôle ambigu : tantôt répressif (criminalisation des grèves, soutien aux patrons), tantôt régulateur (lois sociales, inspection du travail). Dans tous les cas, il est une pièce maîtresse de la constitution d’un ordre capitaliste fondé sur le travail libre… mais encadré, contraint, et hiérarchisé. Le chapitre montre donc que le salariat industriel, souvent présenté comme l’alternative « libre » à l’esclavage, repose en réalité sur des formes profondes de coercition sociale et politique.

Concepts clés définis, expliqués et historicisés

Prolétarianisation(/concepts/proletarianisation)

🔹 Définition Processus par lequel des populations autrefois autonomes ou enracinées dans des économies rurales sont transformées en ouvrier·ères salarié·es dépendant·es d’un employeur pour survivre. Dans le chapitre, elle est centrale à la formation de la main-d’œuvre industrielle du textile.

🔹 Contexte historique La prolétarisation s’accélère au XIXe siècle avec l’essor des usines et l’expropriation des terres communales. En Europe, les enclosures (Angleterre), la surpopulation rurale (Suisse, France) et la crise agricole (Irlande) forcent les populations à rejoindre les centres industriels. Beckert la conçoit comme un acte politique, organisé par l’État et les capitalistes, et non comme une évolution « naturelle » du progrès.

Factory discipline (discipline d’usine)

🔹 Définition Ensemble de règles, de pratiques et de structures visant à encadrer et contrôler le comportement des ouvrier·ères dans le système d’usine. Elle inclut la ponctualité, la régularité, la soumission hiérarchique et l’adaptation au rythme des machines.

🔹 Contexte historique Apparue avec le factory system, la discipline d’usine transforme la vie ouvrière en imposant des normes nouvelles, souvent inspirées du modèle militaire ou religieux. Elle est renforcée par la surveillance, les pénalités, et l’internalisation de l’ordre temporel du capital. Beckert montre qu’elle est nécessaire pour maximiser la productivité et stabiliser le capital fixe (machines).

Résistance ouvrière

🔹 Définition Ensemble des pratiques collectives ou individuelles par lesquelles les ouvrier·ères s’opposent aux conditions d’exploitation : grèves, sabotages, mobilisations politiques ou syndicales.

🔹 Contexte historique Au XIXe siècle, les résistances prennent d’abord des formes dispersées (briseurs de machines, Luddistes), avant de s’institutionnaliser dans les syndicats et les partis. Beckert souligne que ces luttes modifient l’organisation du travail, mais aussi les légitimités politiques du capitalisme industriel. Elles imposent des limites à l’exploitation tout en structurant un compromis social de long terme.

Capitalisme racial et genré

🔹 Définition Système économique dans lequel les hiérarchies de race et de genre sont utilisées pour organiser, segmenter et exploiter différemment la main-d’œuvre. Dans le chapitre, cela concerne l’embauche massive des femmes et enfants dans des postes à bas salaire, et la marginalisation raciale dans les usines des États-Unis.

🔹 Contexte historique Dans les centres industriels, les femmes sont souvent préférées pour certaines tâches, car perçues comme plus dociles et payées moins cher. Les enfants sont mobilisés pour leur agilité et leur coût. Aux États-Unis, les ouvrier·ères noirs·es sont généralement exclus des filatures ou cantonné·es aux travaux les plus pénibles. Beckert démontre que ces hiérarchies ne sont pas secondaires, mais structurantes dans l’organisation du capitalisme industriel.