Slavery Takes Command
Thèmes centraux
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Apogée du système esclavagiste dans la production mondiale de coton
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Hégémonie du Sud des États-Unis comme fournisseur global de coton brut
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Intégration du système esclavagiste dans les marchés financiers et industriels
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Rationalisation économique de l’esclavage comme institution capitaliste
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Expansion territoriale et économique du Sud esclavagiste dans les années 1830–1850
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Interdépendance entre capital industriel européen et esclavage nord-américain
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Politisation du coton dans les débats sur l’abolition et l’empire
Résumé et analyse
Ce chapitre met en évidence le rôle central et croissant de l’esclavage dans l’économie mondiale du coton à partir des années 1830. Contrairement aux récits qui présentent l’esclavage comme une institution archaïque en voie d’extinction avec l’avènement de l’industrialisation, Beckert montre que le capitalisme industriel dépend structurellement de l’esclavage dans cette période. Le Sud des États-Unis devient alors le principal producteur de coton brut au monde, alimentant les filatures britanniques et européennes en matières premières essentielles.
Le Deep South – notamment la vallée du Mississippi – est transformé par une expansion massive des plantations, soutenue par l’État fédéral et les marchés financiers. Des centaines de milliers d’Africain·es-américain·es réduits en esclavage sont déplacés par le commerce interne vers ces nouvelles terres. Beckert insiste sur l’efficacité capitaliste de ce système : les plantations sont dotées d’une gestion comptable rigoureuse, intégrées aux réseaux de crédit transatlantiques, et profondément insérées dans les logiques de profit.
L’auteur mobilise le concept d’esclavage capitaliste, insistant sur l’erreur d’opposer liberté contractuelle et coercition violente : ici, l’exploitation la plus brutale est au cœur du fonctionnement économique moderne. Les ports du Sud (La Nouvelle-Orléans, Mobile, Charleston) deviennent des nœuds logistiques du commerce mondial, où transitent capitaux, assurances, informations et main-d’œuvre.
Le chapitre met également en lumière les débats idéologiques que cette situation suscite. Alors que les États du Nord s’industrialisent, une tension croissante oppose les logiques économiques et morales : l’esclavage est dénoncé au nom de l’universalisme républicain, mais reste central pour la prospérité nationale. L’Europe, quant à elle, dépend massivement du coton esclavagiste tout en affirmant son opposition à l’esclavage. Ce double discours renforce la légitimité implicite du système, tout en rendant visibles ses contradictions. Beckert conclut que l’esclavage n’est pas un résidu mais une condition du capitalisme industriel dans sa phase d’expansion globale.
Concepts clés définis, expliqués et historicisés
Esclavage capitaliste
🔹 Définition Forme d’esclavage intégrée dans une logique d’accumulation capitaliste moderne : production pour le marché mondial, usage d’outils comptables et financiers avancés, spécialisation productive, recherche du profit maximal. Dans le chapitre, il caractérise les plantations cotonnières du Sud des États-Unis entre 1830 et 1860.
🔹 Contexte historique Loin d’un esclavage pré-moderne, les plantations cotonnières esclavagistes nord-américaines opèrent comme des entreprises capitalistes : elles mobilisent le crédit, les assurances, les marchés à terme. Ce système alimente les industries textiles européennes, garantissant leur compétitivité mondiale. Beckert insiste sur le fait que cette configuration incarne l’un des moments les plus aboutis du war capitalism, et non un résidu archaïque.
Commerce interne des esclaves (Second Middle Passage)
🔹 Définition Système organisé de transfert d’esclaves à l’intérieur des États-Unis, principalement depuis les plantations du Haut-Sud (Virginie, Maryland) vers le Deep South (Mississippi, Alabama, Louisiane), pour répondre à la demande croissante de main-d’œuvre cotonnière.
🔹 Contexte historique Après l’abolition de la traite transatlantique (1808), les États-Unis développent un commerce domestique massif d’esclaves. Ce mouvement implique la déportation forcée de plus d’un million de personnes. Il structure l’économie du Sud et contribue à l’expansion du coton comme marchandise d’exportation. Le terme "Second Middle Passage" souligne la continuité de la violence raciale et économique dans l’histoire de l’esclavage américain.
Coton roi ("King Cotton")
🔹 Définition Expression politique et économique affirmant la domination du coton comme source de pouvoir mondial. Dans le chapitre, elle désigne la place centrale du coton esclavagiste du Sud dans l’économie globale et dans la géopolitique impériale du XIXe siècle.
🔹 Contexte historique Popularisée dans les années 1850 par les élites sudistes, cette expression reflète la conviction que le monde industrialisé dépend si profondément du coton sudiste que toute tentative d’abolition de l’esclavage mettrait en péril l’économie mondiale. Ce slogan sert aussi à justifier l’expansion territoriale, la sécession confédérée et le maintien de l’ordre racial esclavagiste. Beckert l’utilise pour illustrer la dimension géopolitique du coton dans la construction de l’ordre mondial capitaliste.
Infrastructure du capital (ports, banques, réseaux d’information)
🔹 Définition Ensemble des institutions matérielles et immatérielles qui rendent possible la circulation, l’investissement et la rentabilité du capital : ports, entrepôts, compagnies d’assurance, bourses, banques, télégraphes. Dans le texte, elles assurent l’intégration du Sud esclavagiste à l’économie globale.
🔹 Contexte historique Les villes portuaires du Sud deviennent des centres dynamiques de l’économie capitaliste. Le coton est vendu à terme, stocké, spéculé, assuré, échangé à l’échelle mondiale. La modernité capitaliste passe ici par des infrastructures qui connectent le travail esclave aux marchés européens, rendant indissociables violence sociale et sophistication économique.