LA PETITE SOCIOTHÈQUE
Petites bouchées d'ouvrages militants à partager

An Entrepreneurial Theology

Thèmes centraux

  • Théologisation du travail dans la culture entrepreneuriale américaine
  • Synthèse critique de l’évolution de l’éthique du travail
  • Responsabilisation intégrale des individus dans le capitalisme néolibéral
  • Épuisement subjectif et promesses non tenues du travail entrepreneurialisé

Résumé et analyse

Dans ce chapitre conclusif, Erik Baker condense son argumentation sur la transformation du travail en religion sécularisée dans la culture américaine. Le concept de « théologie entrepreneuriale » désigne l’ensemble des croyances, rites et prescriptions qui entourent l’idéal de l’entrepreneur comme figure salvatrice, érigée en modèle moral, politique et économique. Cette théologie ne repose pas uniquement sur des promesses économiques, mais sur une forme de foi normative : le travail – s’il est entrepris dans l’esprit de l’innovation, de la persévérance et de l’investissement personnel – est censé produire non seulement de la richesse, mais un sens à l’existence. Baker revient sur le cœur de sa thèse : le travail entrepreneurial n’est pas tant un choix qu’une injonction, un impératif moral naturalisé par des discours religieux, politiques et managériaux. Cette obligation intériorisée, selon lui, produit de la culpabilité et de l'épuisement. L’individu contemporain, sommé de « faire son propre emploi » dans un monde sans garanties collectives, est constamment renvoyé à ses propres échecs comme à des fautes spirituelles. Ce régime moral du travail repose sur un renversement historique : là où l’éthique protestante valorisait le travail comme devoir envers Dieu et la communauté, la théologie entrepreneuriale le transforme en autodiscipline au service d’un salut individuel, mesuré à l’aune du succès économique. Cette mutation, que Baker qualifie d’« exhaustive », est au cœur de l'épuisement contemporain. Le chapitre se conclut sur un constat critique : si cette théologie a su mobiliser des affects puissants – espoir, rédemption, reconnaissance –, elle est structurellement incapable de répondre à l’insécurité, la précarité et l’aliénation produites par le capitalisme néolibéral. Le culte du travail, loin d’émanciper, enferme les individus dans une logique de responsabilité totale, sans prise sur les causes sociales de leur condition. C’est en cela que l’auteur qualifie cette idéologie de « vide » : elle promet l’accomplissement, mais organise sa perpétuelle dérobade.

Concepts clés définis, expliqués et historicisés

Théologie entrepreneuriale

🔹 Définition
Système idéologique qui sacralise le travail autonome comme voie de salut personnel, attribuant une signification morale à la réussite entrepreneuriale.

🔹 Contexte historique
Issu de la fusion entre protestantisme éthique et rationalité néolibérale, ce système s’impose dans les sociétés occidentales à partir des années 1980, via l’école, l’entreprise, et les politiques publiques.

Culpabilité productive

🔹 Définition
Sentiment d’insuffisance individuelle mobilisé comme moteur d’auto-optimisation permanente, justifiant le surinvestissement au travail.

🔹 Contexte historique
Analysée par Max Weber dans le protestantisme ascétique, cette forme de culpabilité est reprise et intensifiée dans le capitalisme néolibéral à travers les dispositifs de performance et de développement personnel.

Responsabilité totalisée

🔹 Définition
Principe selon lequel chaque individu est entièrement responsable de sa situation économique, quelle que soit sa position sociale ou les contraintes systémiques.

🔹 Contexte historique
Cœur idéologique du néolibéralisme, ce principe s’impose dans les années 1980 comme justification au retrait de l’État et à la privatisation des risques sociaux.