Introduction
Thèmes centraux
- Histoire et diffusion de l’éthique entrepreneuriale du travail aux États-Unis
- Transformation culturelle du rapport au travail face à la précarité structurelle
- Construction d’un idéalisme entrepreneurial valorisant l’initiative individuelle
- Rôle des discours de développement personnel dans la légitimation de l’insécurité économique
- Histoire de la rationalisation néolibérale du travail
- Interaction entre économie politique et subjectivité contemporaine
Résumé et analyse
L’introduction retrace la genèse et la montée en puissance de ce que Baker appelle l’éthique entrepreneuriale du travail aux États-Unis. Cette éthique apparaît comme une réponse culturelle à la mutation du marché du travail, notamment à la précarisation croissante des emplois depuis la fin du XIXᵉ siècle, en lien avec des phénomènes comme la mécanisation industrielle et la désindustrialisation. Baker souligne que ce n’est pas seulement un changement économique, mais une transformation des représentations du travail, où celui-ci devient un projet de soi : il ne s’agit plus uniquement de gagner sa vie, mais d’incarner une créativité individuelle et une autonomie valorisées socialement. Cette transformation est soutenue par des mouvements intellectuels et culturels comme le New Thought au début du XXe siècle, qui promeut la maîtrise de soi par la pensée positive, jusqu’aux discours contemporains de développement personnel. L’introduction insiste sur la manière dont cette éthique a permis de naturaliser et légitimer la précarité économique : les difficultés du marché du travail sont interprétées comme des opportunités individuelles à saisir, transférant la responsabilité du succès ou de l’échec sur les travailleurs eux-mêmes. Ainsi, la vulnérabilité économique est couverte par un discours valorisant l’auto-entrepreneuriat, au détriment d’une critique systémique des conditions socio-économiques. Cette dynamique s’inscrit dans une histoire longue qui inclut des figures comme Henry Ford, des mouvements sociaux et des stratégies managériales visant à inculquer l’esprit entrepreneurial. Elle s’articule également avec les transformations idéologiques du capitalisme néolibéral, qui fait du travailleur un entrepreneur de soi. L’analyse révèle que cette éthique est ambivalente : elle offre des cadres identitaires puissants et des ressources symboliques, mais aussi elle participe à l’épuisement des individus soumis à des injonctions constantes de performance et d’auto-optimisation. Baker annonce que son livre proposera une lecture critique de ces processus, en reliant l’histoire intellectuelle aux enjeux sociaux actuels.
Concepts clés définis, expliqués et historicisés
Éthique entrepreneuriale du travail
🔹 Définition L’éthique entrepreneuriale du travail désigne un ensemble de normes et valeurs qui valorisent l’initiative individuelle, la créativité et la responsabilité personnelle comme moyens principaux d’accès à la réussite professionnelle et sociale. Ce concept structure l’argument de Baker en montrant comment cette éthique transforme les conditions économiques en impératifs moraux, imposant au travailleur d’être à la fois gestionnaire et produit de soi-même.
🔹 Contexte historique Cette éthique émerge au tournant du XXe siècle, nourrie par des mouvements comme le New Thought (fin XIXe – début XXe siècle), qui promeut la pensée positive et la maîtrise de soi. Elle se diffuse dans la culture américaine via les écoles de commerce, les discours politiques et les industries culturelles. Dans les années 1930, face à la crise économique, l’auto-entrepreneuriat est présenté comme une solution aux crises de l’emploi. L’idéologie se consolide dans la seconde moitié du XXe siècle, notamment à travers la montée du néolibéralisme et la restructuration du capitalisme, qui fait du travailleur un entrepreneur de soi soumis à la compétition globale.
Précarité légitimée
🔹 Définition La précarité légitimée désigne le processus par lequel l’instabilité et l’insécurité économiques sont naturalisées et justifiées par des discours valorisant la flexibilité, la créativité et l’auto-prise en charge. Dans le texte, ce concept permet de comprendre comment l’insécurité structurelle du travail est dissimulée sous un voile d’opportunités individuelles et morales, évacuant la critique des structures économiques.
🔹 Contexte historique La précarité du travail est une donnée croissante depuis la mécanisation industrielle et s’est accentuée avec la désindustrialisation à partir des années 1970. Le discours légitimant cette précarité accompagne l’avènement du néolibéralisme, qui décentralise les responsabilités vers l’individu. Ce paradigme s’inscrit dans une évolution plus large des relations sociales de travail, où la protection sociale est réduite au profit de formes flexibles et instables d’emploi.
Travail comme réalisation de soi
🔹 Définition Ce concept désigne la représentation du travail non plus seulement comme moyen de subsistance, mais comme espace d’expression personnelle, de créativité et d’épanouissement individuel. Il éclaire le texte en soulignant le glissement idéologique où le travail est investi de dimensions subjectives et morales qui renforcent l’éthique entrepreneuriale.
🔹 Contexte historique Cette idée trouve ses racines dans la culture protestante américaine valorisant l’ascèse et la réussite personnelle, ainsi que dans les mouvements intellectuels du XXe siècle promouvant l’auto-actualisation (influences psychologiques humanistes et culture du self-help). Ce paradigme a été amplifié par les transformations économiques récentes, notamment la montée des emplois dans les secteurs créatifs et de services.