« Se syndiquer pour marcher vers l’indépendance » : l’Union générale des travailleurs de la Guadeloupe
Thèmes centraux
- Articulation entre lutte syndicale et projet indépendantiste guadeloupéen
- Construction d’un syndicalisme intégral, associant revendications sociales et combat national
- Acculturation militante et formation idéologique au sein de l’UGTG
- Réappropriation des lieux de travail comme espaces de lutte contre la domination postcoloniale
- Tensions entre projet politique radical et pratiques quotidiennes des adhérents
- Stigmatisation persistante de l’indépendantisme et stratégies de contournement
Résumé et analyse
1973 – Création de l’UGTG à Pointe-à-Pitre, par d’anciens militants indépendantistes cherchant à relier les luttes sociales à l’objectif d’émancipation nationale.
Années 1970 – Mobilisations dans le secteur sucrier contre les fermetures d’usines et la précarisation des travailleurs agricoles.
Années 1980 – Extension du syndicat au secteur tertiaire, implantation dans les services publics, l’hôtellerie, le bâtiment et les commerces.
2002 – Affaire Madassamy : arrestation violente de Michel Madassamy, militant de l’UGTG, lors d’un blocage contre la hausse des prix de l’essence. Forte mobilisation populaire en réaction.
2008 – L’UGTG devient la première centrale syndicale de Guadeloupe aux élections professionnelles.
5 décembre 2008 – L’UGTG participe à la fondation du LKP (Liyannaj kont pwofitasyon), coalition de 49 organisations.
20 janvier – 4 mars 2009 – Grève générale en Guadeloupe : l’UGTG est au cœur de l’organisation et de la stratégie de mobilisation.
Pierre Odin consacre ce chapitre à l’analyse de l’UGTG, principal syndicat indépendantiste guadeloupéen, qu’il qualifie de syndicat intégral : son activité déborde le seul cadre des revendications salariales pour porter un projet global d’émancipation politique. L’auteur y montre comment ce syndicalisme s’est construit à partir des années 1970 sur les ruines du militantisme politique organisé, en capitalisant sur les réseaux, les savoir-faire et les références des anciens groupes indépendantistes.
Fondée en 1973, l’UGTG se développe d’abord dans le secteur agricole, en s’appuyant sur la désindustrialisation et le désengagement de l’État dans les filières traditionnelles. Progressivement, elle s’étend à d’autres secteurs : dans les années 1980, elle devient le premier syndicat de la fonction publique hospitalière, puis s’implante dans l’hôtellerie, les commerces et les collectivités. En 2008, elle devient la première centrale syndicale en Guadeloupe, avec 17,6 % des voix aux élections prud’homales, contre 13,7 % pour la CGTG et 11,5 % pour la CFDT.
Cette montée en puissance repose sur un travail idéologique constant. L’UGTG forme ses militants, diffuse un discours en créole, valorise l’histoire des luttes locales et construit un imaginaire anticolonial populaire. Odin insiste sur la manière dont le syndicat transforme l’adhésion en processus d’acculturation politique, notamment par la production d’une identité de lutte fondée sur l’appartenance au peuple guadeloupéen opprimé.
Mais ce projet rencontre des limites internes : une partie des adhérents ne partage pas nécessairement la visée indépendantiste, et s’engage plutôt pour des raisons pragmatiques (solidarité, efficacité, culture de mobilisation). Cette pluralité d’attentes oblige le syndicat à articuler discours radical et pratiques concrètes de défense des salariés.
L’affaire Madassamy illustre cette capacité à transformer la répression en levier de mobilisation. En 2002, Michel Madassamy, militant syndical de l’UGTG, est violemment interpellé lors d’une action contre la hausse des prix de l’essence. Cette arrestation déclenche une vague d’indignation dans la population et au sein des organisations syndicales. L’affaire devient un point de cristallisation pour les revendications sociales et révèle l’hostilité persistante des autorités à l’égard des luttes anticolonialistes. Elle favorise l’émergence d’une première dynamique de convergence intersyndicale, préfigurant la structuration du LKP en 2008. L’UGTG y gagne en légitimité populaire et affirme son rôle central dans la défense des classes populaires guadeloupéennes.
Le chapitre souligne enfin que l’UGTG construit son autonomie stratégique en rupture avec les syndicats nationaux français. Refusant toute tutelle, elle articule défense locale et critique globale, en dénonçant l’assistanat, le paternalisme d’État et les collusions entre les élites économiques et les pouvoirs publics. Elle politise ainsi les rapports de travail, en les inscrivant dans une critique de la pwofitasyon comme régime de domination raciale, économique et néocoloniale.