Un Mai-68 antillais ?
Thèmes centraux
- Anticolonialisme étudiant et recomposition politique dans les années 1960-1970
- Effets de Mai 68 sur la jeunesse militante antillaise en France et aux Antilles
- Construction d’un espace militant anticolonialiste transnational
- Conflits avec les Partis communistes locaux (PCM et PCG)
- Mobilisations étudiantes et naissance des cercles d’étudiants caribéens (AGEC, AGEG, AGEM)
- Répression de Mai 67 en Guadeloupe et désillusion stratégique
- Circulation militante entre métropole et Antilles
- Formation idéologique : nationalisme, marxisme, tiers-mondisme
Résumé et analyse
Décembre 1962 – Affaire de l’OJAM : arrestation de jeunes militants anticolonialistes en Martinique.
Mai 1967 – Émeutes à Pointe-à-Pitre, Guadeloupe : grève dans le bâtiment, répression sanglante (près de 40 morts).
1968 – Mobilisations anticolonialistes dans les cercles étudiants parisiens (AGEC, AGEG, AGEM).
1971 – Création de Combat ouvrier.
1974 – Grève du Chalvet en Martinique (répression meurtrière, tournant dans les luttes paysannes).
Le chapitre analyse l’effet structurant de Mai 68 sur les trajectoires militantes antillaises, tant en France qu’aux Antilles. Odin étudie l’émergence d’un « Mai-68 antillais », à la croisée des mobilisations anticolonialistes et des répertoires d’action de la gauche radicale. L’auteur retrace la formation politique d’une génération militante antillaise, socialisée dans les lycées d’élite (Schœlcher, Carnot) et engagée dans les cercles étudiants en France (AGEC, AGEG, AGEM), où elle découvre le marxisme, les luttes de libération et les débats tiers-mondistes. Cette génération, souvent issue de la petite bourgeoisie intellectuelle, se politise dans un contexte de crise coloniale prolongée, marqué par la départementalisation inachevée, les politiques migratoires (BUMIDOM), et la persistance d’un racisme institutionnel.
Odin revient sur les trajectoires de militants comme Louis Maugée ou Lita Dahomay, montrant comment leur contact avec les groupes gauchistes (Ligue communiste, Voie ouvrière, GRS) transforme leur rapport à la politique : du nationalisme noir au marxisme révolutionnaire. Mais ce basculement n'efface pas les tensions raciales et sociales vécues dans les cercles métropolitains — au contraire, il les aiguise et les intègre à une critique plus globale de l’ordre colonial et capitaliste.
La répression brutale de Mai 67 en Guadeloupe marque une rupture stratégique. Les militants, confrontés à l’échec de l’insurrection, choisissent d’autres voies : syndicalisme, implantation dans les campagnes, agitation culturelle. C’est à ce moment que l’histoire militante s’articule à une critique de l’école républicaine, de l’exil contraint par le BUMIDOM, et des illusions assimilationnistes entretenues par les partis traditionnels (PCG, PCM, PPM).
Enfin, Odin restitue l’effervescence militante de la décennie : des occupations d’usine aux mobilisations lycéennes, des lectures de Fanon et de Césaire aux discours de Fidel Castro repris dans les plantations. Cette histoire connectée permet de reconfigurer l’histoire des mouvements sociaux français à partir de leur périphérie coloniale.
Concepts clés définis, expliqués et historicisés
Anticolonialisme révolutionnaire
🔹 Définition
Forme d’anticolonialisme développée aux Antilles à partir des années 1950-60, qui associe directement la lutte contre l’ordre colonial à une transformation révolutionnaire de la société. Il s’oppose à l’autonomisme réformiste ou au gradualisme des partis communistes locaux.
🔹 Contexte historique
Ce courant émerge dans le sillage de la départementalisation (1946), des révoltes ouvrières (1959 en Martinique, 1967 en Guadeloupe) et des influences internationales (Cuba, Algérie, Vietnam). Il est porté par des groupes comme le GONG, l’OJAM ou plus tard les GAP, Combat ouvrier, GRS.
Tiers-mondisme
🔹 Définition
Orientation politique internationaliste et anti-impérialiste mobilisée par de nombreux militants antillais dans les années 60-70. Elle désigne la solidarité avec les luttes de libération nationale en Afrique, Asie et Amérique latine.
🔹 Contexte historique
Popularisé après la conférence de Bandung (1955) et par les écrits de Fanon, le tiers-mondisme structure la pensée politique d’une génération. Il influence aussi bien les gauchistes hexagonaux que les cercles caribéens, mais entre souvent en conflit avec les partis communistes eurocentrés.
Établissement
🔹 Définition
Stratégie politique issue des groupes maoïstes après 1968 consistant à s’implanter dans les usines ou les campagnes pour s’insérer dans les luttes de la classe ouvrière.
🔹 Contexte historique
Importée en Guadeloupe et Martinique par les militants formés en métropole, cette tactique est adaptée aux réalités locales (travail agricole, zones rurales). Elle structure l’action de nombreux groupes (GRS, GAP, Combat ouvrier) dans les années 1970.
Syndicalisme d’insubordination
🔹 Définition
Pratique syndicale qui ne se limite pas à la négociation salariale mais cherche à subvertir l’ordre colonial-capitaliste. Elle se fonde sur des pratiques de confrontation directe et de politisation des travailleurs.
🔹 Contexte historique
Théorisée par Xavier Vigna pour la métropole, cette notion s’applique ici aux syndicats antillais issus du mouvement indépendantiste ou révolutionnaire. Elle prend forme dans les luttes des années 70 (occupations, grèves générales) et prépare les mobilisations de 2009.