LA PETITE SOCIOTHÈQUE
Petites bouchées d'ouvrages militants à partager

Second Address Before the United Nations, Fourth Committee, 1972

Thèmes centraux

  • Guerre de libération nationale et légitimité internationale
  • Stratégie de décolonisation et contradictions de l’ONU
  • Droit à l’autodétermination et recours à la lutte armée
  • Critique du colonialisme portugais et de ses soutiens impérialistes
  • Souveraineté populaire et organisation de l’État en situation de guerre
  • Fonction diplomatique du PAIGC comme représentant légitime du peuple
  • Rôle des Nations unies dans la reconnaissance de la lutte anticoloniale

Résumé et analyse

Dans cette allocution prononcée devant la Quatrième Commission des Nations unies le 16 octobre 1972, Amílcar Cabral défend la cause du PAIGC comme seul représentant légitime des peuples de Guinée (Bissau) et des îles du Cap-Vert. Il y expose les fondements historiques, politiques et juridiques de la lutte armée engagée depuis 1963, et affirme que celle-ci est non seulement conforme aux principes du droit international, mais aussi moralement et politiquement justifiée par l’intransigeance de l’État portugais.

Le discours procède à une reconstruction historique du conflit : Cabral évoque les massacres (Pidgiguiti, 1959), les échecs du dialogue pacifique, l’intensification de la répression (arrestations massives, villages brûlés, exécutions), et justifie ainsi le passage à la guerre de libération nationale. Il affirme que cette lutte est inséparable de la construction d’une souveraineté populaire effective : dans plus de deux tiers du territoire libéré, le PAIGC a mis en place une administration autonome, un appareil judiciaire, un système éducatif, et une armée populaire. Cabral oppose cette réalité à la fiction juridique de l’administration coloniale portugaise.

La critique des contradictions de l’ONU est centrale : bien que de nombreuses résolutions condamnent le colonialisme portugais, aucune mesure contraignante n’a été appliquée. Cabral dénonce l’inaction des grandes puissances alliées du Portugal (notamment membres de l’OTAN) et l’hypocrisie de la « neutralité » diplomatique. Il s’adresse directement aux États latino-américains, aux pays nordiques, aux pays socialistes, et surtout aux peuples africains, en appelant à une reconnaissance formelle de l’État en gestation dans les zones libérées.

Enfin, il présente la convocation d’une Assemblée nationale (élue au suffrage universel dans les régions libérées) comme un acte souverain annonçant la future proclamation de l’indépendance. Dans ce cadre, la diplomatie révolutionnaire devient une arme stratégique pour faire reconnaître, sur la scène internationale, une souveraineté déjà concrètement exercée.

Concepts clés définis, expliqués et historicisés

Lutte de libération nationale

🔹 Définition
La lutte de libération nationale désigne ici un processus politique, militaire et institutionnel par lequel un peuple colonisé cherche à reconquérir sa souveraineté en se libérant de l’occupation impérialiste. Dans le cas du PAIGC, elle implique non seulement l’affrontement armé avec les troupes portugaises, mais la création d’un État populaire dans les zones libérées.

🔹 Contexte historique
Le concept est central dans les années 1950–1970, période marquée par les indépendances formelles en Afrique et en Asie. Mais dans le cas portugais, l’intransigeance du régime salazariste contraint les mouvements à adopter des formes prolongées de guerre populaire, inspirées notamment par les luttes vietnamienne et algérienne. La reconnaissance du droit à la lutte armée dans les résolutions onusiennes de 1960 et 1970 (résolution 1514) constitue un précédent invoqué par Cabral pour légitimer le recours aux...

Souveraineté en situation de guerre

🔹 Définition
Il s’agit de l’exercice concret de la souveraineté populaire dans des conditions d’occupation partielle du territoire. Cabral décrit la situation de la Guinée (Bissau) comme celle d’un État déjà constitué dans ses fonctions essentielles, bien que non reconnu juridiquement : éducation, santé, justice, économie, participation populaire et élections.

🔹 Contexte historique
Cette forme d’auto-organisation révolutionnaire prolonge les expériences d’États parallèles dans les luttes anticoloniales (zones libérées du FLN en Algérie, Viet Minh au Vietnam). Dans le contexte guinéen, cette structuration étatique anticipée répond à un double objectif : asseoir la légitimité du PAIGC auprès des populations, et revendiquer une reconnaissance diplomatique sur la scène internationale. Elle permet également d’ancrer l’idée que l’indépendance ne sera pas octroyée par un accord, mais conqu...

Décolonisation et légalité internationale

🔹 Définition
Le discours de Cabral repose sur la tension entre le droit international proclamé (résolutions onusiennes contre le colonialisme) et la réalité des rapports de force, dans lesquels les puissances occidentales (via l’OTAN) soutiennent activement l’effort colonial portugais. Il en appelle à une mise en cohérence entre les principes juridiques universels et l’action politique concrète des États membres.

🔹 Contexte historique
Dans les années 1960-70, la décolonisation devient un enjeu diplomatique mondial, notamment au sein du Mouvement des non-alignés et de l’ONU. Mais l’inefficacité des sanctions contre le Portugal, malgré la résolution 1514 (1960), souligne les limites du droit international comme arme des peuples opprimés. Cabral fait ici un usage stratégique du droit pour dénoncer le cynisme des grandes puissances et redéfinir la légitimité non à partir de la reconnaissance étatique formelle, mais de la souveraineté popu...