Flexing a New Womanhood
Thèmes centraux
-
Expansion de la NOI dans les années 1950 et affirmation d’un modèle genré de religiosité
-
Formation des femmes par le biais du Muslim Girls Training and General Civilization Class (MGT-GCC)
-
Surveillance, hiérarchie et discipline morale dans l’organisation religieuse
-
Rôle des dirigeantes pionnières dans l’encadrement des nouvelles converties
-
Tensions entre pouvoir patriarcal et aspirations des femmes à une nouvelle féminité
Résumé et analyse
Dans les années 1950, la Nation of Islam entre dans une phase de consolidation et d’expansion. Elijah Muhammad renforce son emprise sur l’organisation, structurant le comportement des femmes à travers le Muslim Girls Training and General Civilization Class (MGT-GCC). Chaque temple se dote d’une sister captain chargée d’inculquer des normes de pureté corporelle, d’apparence, et de moralité à des femmes souvent novices, dont la piété se mesure à la conformité aux standards religieux.
Ce modèle d’éducation genrée s’accompagne d’un système strict de surveillance morale : humiliation publique, injonctions à la minceur, conformité vestimentaire. Taylor détaille les tensions internes à ce dispositif, soulignant par exemple comment Elijah Muhammad lui-même a parfois modéré les excès de zèle de certaines responsables.
Le chapitre aborde aussi la difficulté pour le mouvement à recruter des femmes. Malgré l’éloquence de Malcolm X, ses appels à protéger la “black woman” ne séduisent pas massivement : peu de femmes rejoignent la NOI après ses discours. Taylor avance que cette difficulté reflète l’ambivalence des enseignements de la NOI sur les femmes, entre idéalisation et contrôle, élévation et assignation.
Mais c’est la figure de Sister Thelma X qui vient bousculer ce cadre rigide. Née Thelma X Hunter (aussi connue comme Thelma X Donahue, puis Thelma X Muhammad), elle apparaît initialement dans les fichiers de surveillance du FBI pendant la Seconde Guerre mondiale, puis comme éditrice d’un périodique indépendant, Truth. Contrairement aux femmes disciplinées par le MGT-GCC, Thelma X se distingue par une prise de parole publique radicale, notamment contre l’intégration raciale. Dans son magazine, elle lance un appel provocateur : « STOP BEGGING, STOP FIGHTING »("Arrêtez de mendier, arrêtez de vous battre"), en réponse aux luttes pour la déségrégation scolaire qu’elle juge inutiles et dangereuses. Elle cite le lynchage d’Emmett Till comme preuve de la violence irréductible du monde blanc.
Son langage, passionné et théâtral, s’inspire de la rhétorique des meilleurs prêcheurs de la NOI. Elle se moque des pasteurs noirs « fiers d’être vus avec des Blancs », dénonce les politiciens noirs assimilés, et s’attaque à l’interracialité en posant une série de questions rhétoriques sur les peuples asiatiques et européens pour souligner la nécessité d’un nationalisme racial. Elle écrit : « We women have no protection from our men »("Nous femmes [noires], n'avons aucune protection contre nos homme"), dans un cri d’alarme sur l’abandon des femmes noires par les hommes.
Thelma X ne se contente pas de pamphlets. En tant que domestique dans des familles juives de Chicago, elle collecte des anecdotes, des citations, et des observations qu’elle consigne pour nourrir son projet de livre. Elle joue un double jeu, arborant des sourires stratégiques pour obtenir des informations, puis les réinvestissant dans ses écrits pour dénoncer les pratiques assimilées à la domination blanche. Elle déclare qu’elle « porte le masque qui rit et ment », en référence au poète Paul Laurence Dunbar, et maîtrise l’art du camouflage dans des contextes de domination raciale.
Surtout, elle franchit une frontière doctrinale importante : dans Truth, elle publie une couverture intitulée “Queen Thelma VS. King James-Version”, où elle réinterprète les textes bibliques à la lumière des enseignements de la NOI. Elle identifie Jacob comme Yacub, créateur du « diable blanc », et associe la résurrection de Lazare à l’éveil de la conscience noire. Elle appelle : « WAKE UP MY SISTERS AND BROTHERS ». En affirmant : « I RESERVE THE RIGHT TO SPEAK FREELY AS I THINK, AS LONG AS I AM TELLING THE TRUTH », elle s’octroie une autorité religieuse quasi prophétique, défiant l’interdiction faite aux femmes de prêcher.
Taylor conclut que Sister Thelma X incarne à la fois la femme type de la NOI — anti-intégrationniste, loyale à Elijah Muhammad — et une figure atypique, car elle s’arroge une liberté de parole et d’interprétation habituellement réservée aux hommes. Elle construit ainsi une subjectivité musulmane noire féminine radicale, intellectuelle et offensive, traversée par les contradictions du patriarcat religieux et de la subalternité raciale.
Concepts clés définis, expliqués et historicisés
MGT-GCC (Muslim Girls Training and General Civilization Class)
🔹 Définition
Programme éducatif et disciplinaire pour les femmes de la NOI, organisé dans chaque temple sous l’autorité d’une sister captain. Il enseigne la morale islamique, les tâches ménagères, les règles vestimentaires, la maternité, et la loyauté à la Nation.
🔹 Contexte historique
Créé dans les années 1930 mais formalisé dans les années 1950, le MGT-GCC constitue l’un des rares espaces d’organisation féminine autonome dans un cadre patriarcal. Il reflète l’ambition de former une “Nouvelle Femme” noire musulmane respectée, pieuse et disciplinée — mais aussi soumise à l’autorité masculine religieuse.
Surveillance religieuse et hiérarchie morale
🔹 Définition
Système interne de contrôle des comportements fondé sur la discipline, la hiérarchie et la correction. Inclut la vérification du poids, la conformité vestimentaire, la ponctualité, et l’obéissance aux sister captains.
🔹 Contexte historique
Dans le contexte des années 1950, marqué par le maccarthysme et le conformisme moral, la NOI élabore un système de surveillance interne aligné sur l’obsession d’ordre. Ce modèle renforce l’adhésion communautaire, mais au prix d’une individualisation de la faute et d’un renforcement du contrôle patriarcal sur les femmes.
Pédagogie du respect et discours de protection
🔹 Définition
Narratif masculin dans la NOI — notamment chez Malcolm X — selon lequel la femme noire doit être protégée par l’homme musulman, ce qui suppose sa docilité et sa reconnaissance des rôles genrés traditionnels.
🔹 Contexte historique
Ce discours trouve un écho dans la culture américaine des années 1950 : les femmes sont valorisées pour leur rôle domestique et leur modestie. Chez les Noirs, ce modèle fonctionne aussi comme une tentative de respectabilité raciale. Cependant, ce respect est conditionné par la soumission aux normes de genre définies par les hommes.