Nation of Islam Womanhood, 1960–1975
Thèmes centraux
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Émergence d’un féminisme musulman noir intégré à une structure patriarcale
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Économie domestique, emploi et responsabilités genrées dans la NOI
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Contrôle des naissances, contraception et agency féminine
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Mariage, divorce et redéfinition de la respectabilité religieuse
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Apparitions publiques des femmes NOI dans l’espace médiatique
Résumé et analyse
Ce chapitre explore les trajectoires contrastées des femmes musulmanes noires dans la Nation of Islam entre 1960 et 1975, période de forte expansion du mouvement mais aussi de pressions idéologiques internes croissantes. Taylor mobilise une série de récits de vie pour montrer la complexité du vécu féminin dans un cadre religieux à la fois structurant et contraignant.
On découvre tout d’abord l’histoire de Jamesetta Hawkins, connue sous le nom de Etta James, qui rejoint la NOI à Atlanta en 1960. Sa motivation mêle quête de respectabilité, besoin de sécurité affective, et attrait pour les hommes du Fruit of Islam, vus comme protecteurs. Elle apprécie aussi l’idéologie nationaliste et la discipline proposée par le mouvement. Toutefois, sa carrière artistique et son style de vie l’empêchent d’adhérer complètement : elle continue à porter des robes moulantes et à manger du porc en cachette. Son engagement reste donc éphémère et ambivalent.
Taylor oppose à cette trajectoire celle de femmes comme Sister Clotelle, sister captain de Harlem, qui joue un rôle central dans l’introduction du planning familial dans la NOI. Grâce à l’ouverture de Malcolm X — qui distingue “family planning” (acceptable) de “birth control” (controversé) — Clotelle participe à des échanges avec des représentantes de Planned Parenthood et initie d’autres femmes à des pratiques contraceptives compatibles avec l’éthique religieuse.
Cette pluralité d’expériences est accentuée par les récits de Sister Eula, Sister Doris 9X, et Sister Belinda Ali. Eula tente de conformer sa vie familiale aux prescriptions de Muhammad : six enfants, mari travailleur, vie domestique stable. À l’inverse, Doris 9X vit une expérience douloureuse : après avoir vu son mari quitter son emploi pour “suivre le programme” de la NOI, elle se retrouve endettée, divorcée, et plus tard inculpée pour fraude au système de protection sociale. Belinda Ali, épouse de Muhammad Ali, incarne une féminité publique : sa beauté et son image sont intégrées dans les stratégies médiatiques de la NOI.
Ce chapitre explore aussi les contradictions entre l’idéal patriarcal (homme pourvoyeur, femme au foyer) et la réalité économique. De nombreuses femmes travaillent pour la Nation : enseignantes, couturières, cuisinières, secrétaires. Leur labeur soutient l’infrastructure du mouvement, tout en étant invisibilisé. Certaines, comme Sister Beatrice ou Sister Ruth, revendiquent leur autonomie reproductive : elles choisissent quand arrêter les grossesses, critiquent les normes de fertilité imposées, et dénoncent les discours masculins déconnectés de la réalité des corps féminins.
Loin de décrire des figures homogènes, Taylor montre un éventail de positionnements entre soumission stratégique, contestation silencieuse, et affirmation d’une subjectivité musulmane noire. Le chapitre documente ainsi une reformulation progressive du genre à l’intérieur même d’une idéologie religieuse patriarcale.
Concepts clés définis, expliqués et historicisés
Respectabilité religieuse
🔹 Définition
La respectabilité religieuse désigne un ensemble de normes comportementales, vestimentaires et sexuelles que les femmes de la NOI doivent incarner pour être considérées comme des musulmanes exemplaires. Elle inclut la modestie corporelle, la fidélité conjugale, la maternité vertueuse, et une soumission assumée à l’ordre moral islamique tel que défini par la hiérarchie masculine.
🔹 Contexte historique
Dans les années 1960–1970, la respectabilité est un enjeu central pour les femmes noires cherchant à échapper aux stéréotypes racistes (jezebel, welfare queen, etc.). La NOI propose un modèle de respectabilité religieuse qui redéfinit la dignité noire à travers l’islamisation des pratiques quotidiennes. Ce modèle agit à la fois comme protection sociale et comme outil de contrôle patriarcal.
Planning familial dans un cadre religieux
🔹 Définition
La pratique du family planning au sein de la NOI consiste à adopter des stratégies de contraception ou d’espacement des naissances sans remettre en cause la centralité de la maternité musulmane. Elle repose sur une interprétation pragmatique des besoins corporels, économiques et psychologiques des femmes.
🔹 Contexte historique
Dans les années 1960, les débats autour du contrôle des naissances traversent le mouvement noir. Malcolm X, avant sa rupture avec la NOI, ouvre la voie à une légitimation partielle du planning familial. Des figures comme Sister Clotelle mobilisent ces ouvertures pour initier des dialogues avec des institutions médicales, tout en conservant une fidélité doctrinale à la Nation. Ce positionnement permet à certaines femmes d’affirmer leur agency reproductive au sein même d’un système patriarcal.
Féminité publique et image militante
🔹 Définition
La féminité publique dans la NOI désigne une forme d’exposition médiatique soigneusement encadrée : beauté visible, rôle d’épouse, maternité exemplaire. Cette image sert à promouvoir la Nation dans l’espace extérieur tout en consolidant les normes internes de genre.
🔹 Contexte historique
Dans le contexte des années 1970, des femmes comme Belinda Ali incarnent une féminité religieuse stylisée, photogénique et compatible avec les standards médiatiques américains. Leur image renforce la légitimité masculine (notamment celle de Muhammad Ali), tout en rendant visible un modèle de femme noire islamique non sexualisée, présentable et respectable. Cette construction est cependant ambivalente, car elle peut invisibiliser les conflits vécus par ces femmes en privé.