Making the Invisible Visible
Thèmes centraux
- Invisibilité sociale de la blancheur comme identité raciale dominante
- Rôle du sentiment de menace statutaire dans l’activation de l’identité blanche
- Théories des relations intergroupes appliquées aux Blancs comme groupe
- Articulation entre solidarité raciale blanche et comportements politiques
- Tension entre préjugés raciaux explicites et attachement in-group défensif
- L’identité dominante comme identité réactive plutôt qu’assertive
Résumé et analyse
Dans ce chapitre, Ashley Jardina déconstruit l’idée selon laquelle la blancheur serait neutre, invisible ou universelle. Elle s’appuie sur la psychologie sociale et la sociologie critique pour montrer que cette invisibilité est un effet de la domination : tant que leur position hégémonique n’est pas remise en cause, les Blancs n’ont pas besoin de se penser comme un groupe. La blancheur fonctionne ainsi comme une norme implicite.
Cependant, cette invisibilité n’est pas absolue. Jardina soutient que lorsqu’un sentiment de menace statutaire émerge – à travers l’immigration, l’élection d’Obama ou la diversité des élites – l’identité blanche devient visible et activable. Elle mobilise la group position theory (Blumer) et la social identity theory pour démontrer que les groupes dominants peuvent eux aussi développer une conscience de groupe en période de déclin relatif.
Jardina critique ensuite la focalisation exclusive des sciences sociales sur les préjugés raciaux des Blancs envers les Noirs. En ignorant l’attachement in-group au groupe blanc, ces approches négligent une dimension cruciale des attitudes politiques. Ce déplacement permet de comprendre que des préférences conservatrices (anti-immigration, soutien aux politiques sociales perçues comme « blanches ») ne relèvent pas uniquement de la haine raciale, mais d’un réflexe de protection du statut collectif.
Enfin, Jardina distingue l’identité blanche (sentiment d’appartenance) de la conscience de groupe (mobilisation collective). Elle montre que cette conscience peut émerger lorsque les menaces symboliques deviennent saillantes, et qu’elle structure alors les préférences électorales, notamment envers des candidats perçus comme protecteurs du statut blanc. L’identité blanche devient ainsi un levier politique autonome, distinct des formes explicites de racisme.
Ce chapitre reformule les théories des attitudes raciales à partir du point de vue du groupe dominant, en conceptualisant la blancheur comme une identité politique conditionnellement mobilisée. Jardina fournit ainsi un outil théorique pour comprendre la reproduction du pouvoir blanc dans une société perçue comme de plus en plus multiculturelle.
Concepts clés définis, expliqués et historicisés
Concepts clés définis, expliqués et historicisés
Identité dominante
🔹 Définition
L’identité dominante désigne l’appartenance à un groupe historiquement hégémonique qui n’a pas besoin de se percevoir comme groupe jusqu’à ce que son pouvoir semble menacé. Dans ce contexte, l’identité blanche fonctionne comme une identité dominante typique : longtemps invisible car hégémonique, elle devient saillante lorsque la hiérarchie raciale paraît vaciller.
🔹 Contexte historique
Peu explorée par les sciences sociales, cette notion s’enracine dans les travaux de W.E.B. Du Bois sur le « salaire de la race ». Son caractère réactif a été théorisé à partir des années 1990-2000 dans le cadre des recherches sur les majorités menacées. Jardina actualise ce cadre en montrant que la blancheur fonctionne comme une identité réactivée face aux changements démographiques.
Menace statutaire
🔹 Définition
La menace statutaire désigne la perception, par un groupe dominant, d’un déclin de sa position dans la hiérarchie sociale. Elle est souvent symbolique, activée par des événements perçus comme révélateurs d’un recul du statut (diversité croissante, immigration, présidence d’Obama).
🔹 Contexte historique
Ce concept est issu de la group threat theory (Blumer, années 1950) et prolongé par les recherches sur la psychologie sociale des groupes dominants. Il a été mobilisé pour comprendre le soutien à Trump (Mutz, 2018). Jardina en fait un mécanisme central d’activation de l’identité blanche.
Conscience de groupe (group consciousness)
🔹 Définition
Forme d’identification collective dans laquelle les individus perçoivent un sort commun et considèrent qu’une mobilisation politique est nécessaire pour défendre les intérêts de leur groupe. Elle se distingue de l’identité par son caractère stratégique et mobilisateur.
🔹 Contexte historique
Théorisée dans les études afro-américaines sur les mobilisations des années 1960 (Dawson, Miller, Bobo), la conscience de groupe a rarement été appliquée aux groupes dominants. Jardina soutient que les Blancs développent eux aussi une telle conscience dans un contexte de perte perçue de pouvoir.