Anatomically Speaking: Ungendered Flesh and the Science of Sex
Thèmes centraux
- Constitution du sexe anatomique comme objet scientifique moderne
- Co-formation du savoir médical sur le sexe et du racisme scientifique
- Racialisation des protocoles de classification sexuelle
- Ungendered flesh (chair sans genre) comme condition de l’esclave noir
- Utilisation des corps noirs pour fixer les normes du genre
- Savoirs médicaux et construction idéologique du dimorphisme sexuel
Résumé et analyse
Résumé conceptuel
Ce chapitre propose une relecture critique de l’histoire de la sexologie et de l’anatomie à travers la figure du corps noir esclave comme point d’ancrage des normes modernes du sexe. Snorton montre que la production d’un savoir sur le sexe – notamment la distinction binaire entre hommes et femmes – s’est faite à partir d’une objectivation des corps noirs, utilisés comme matériaux de classification et de démonstration. L’auteur revient en particulier sur l’histoire d’Afong Moy et d’James Barry, mais surtout sur la trajectoire de Joan/John, une personne noire assignée femme à la naissance, reclassée comme homme après examen anatomique : cette affaire emblématique du XIXe siècle est analysée comme une cristallisation de l’obsession médicale pour les signes corporels du sexe et leur lisibilité.
En montrant que l’anatomie s’est constituée comme science en s’appuyant sur des corps esclaves, Snorton insiste sur la manière dont la chair noire a été construite comme sans genre (ungendered), c’est-à-dire disponible à toutes les assignations et utilisations, sans reconnaissance subjective. Il analyse comment, dans l’Amérique du XIXe siècle, les pratiques médicales reposent sur l’examen de corps noirs présentés comme énigmatiques ou ambigus, souvent à la croisée des catégories raciales et sexuelles. Les autopsies, les protocoles d’inspection corporelle et les récits pathologisants contribuent à produire un savoir prétendument objectif, qui assigne les individus à un genre en fonction de critères anatomiques, tout en niant les structures sociales qui président à cette classification. La chair noire devient alors le support matériel d’un projet épistémologique racialisé, où le genre n’est pas reconnu comme expérience vécue ou statut subjectif, mais comme lecture anatomique autoritaire. Le texte explore aussi les récits scientifiques, juridiques et journalistiques qui ont légitimé ces pratiques, soulignant leur rôle dans la naturalisation du dimorphisme sexuel. Ces récits – dans les journaux, les rapports d’experts, les procès – mettent en scène des corps noirs comme anomalies à corriger ou comme preuves à interpréter, renforçant l’illusion que le sexe est lisible dans le corps et que cette lisibilité est garantie par la science.
Analyse théorique
Snorton démontre que les distinctions biologiques entre les sexes, souvent perçues comme naturelles, sont des constructions historiquement situées et politiquement intéressées. En inscrivant l’émergence de la science du sexe dans l’histoire de l’esclavage racial, il en expose les fondements violents. L’auteur articule plusieurs traditions critiques :
la critique du biologisme, qui remet en cause l’idée d’un sexe fixe et naturellement lisible, en montrant que cette lisibilité est une production idéologique ;
la théorie noire, notamment via Hortense Spillers et Saidiya Hartman, qui analysent comment l’esclavage a déshumanisé les corps noirs, les réduisant à une chair disponible à la violence, sans reconnaissance juridique, sexuelle ni subjective ;
les études trans, qui interrogent la fabrique sociale et médicale du genre, mais que Snorton pousse plus loin en insistant sur l’impossibilité de penser le trans sans la race.
Cette articulation permet de repolitiser la question du genre en l’arrachant aux seules catégories identitaires. Elle montre que le genre, tel qu’il se constitue comme régime de savoir, de pouvoir et de reconnaissance, repose dès l’origine sur une opération raciale d’effacement, de contrôle et de transformation des corps. Le chapitre ne propose pas simplement une histoire critique de l’anatomie : il opère un déplacement épistémologique qui oblige à repenser le trans depuis la matérialité violente de la chair noire.
Concepts clés définis, expliqués et historicisés
Ungendered flesh (chair sans genre)
🔹 Définition
Le concept désigne la condition imposée aux corps noirs sous l’esclavage, considérés comme sans genre au sens socialement reconnu. Il ne s’agit pas d’une absence neutre de genre, mais d’un statut de pure disponibilité : ces corps sont manipulés, réassignés, interprétés selon les besoins du pouvoir, sans reconnaissance de leur agentivité. Dans le texte, cette chair sans genre devient la base matérielle et politique à partir de laquelle le genre est historiquement construit.
🔹 Contexte historique
Hortense Spillers a introduit l’idée de flesh comme matière brute, dépossédée de nom, d’histoire et de genre, caractéristique de la traite esclavagiste. Snorton reprend cette notion pour analyser comment la médecine du XIXe siècle a constitué ses savoirs à partir de ces corps. La chair sans genre devient alors le terrain d’une double inscription : celle du genre comme construction scientifique, et celle de la race comme condition préalable de cette construction.