Industrial Capitalism Takes Its Wings
Thèmes centraux
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Montée en puissance du capitalisme industriel dans l’industrie cotonnière
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Passage de la production dispersée au système d’usine
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Mécanisation du filage et du tissage (rouet, mule-jenny, power loom)
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Concentration spatiale, disciplinaire et temporelle du travail
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Rôle central de l’Angleterre (Manchester, Lancashire) dans la transformation industrielle
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Articulation entre industrialisation, colonisation et délocalisation du coton brut
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Substitution du war capitalism par un capitalisme industriel organisé
Résumé et analyse
Dans ce chapitre, Beckert analyse le basculement fondamental qui s’opère au tournant des XVIIIe et XIXe siècles avec l’émergence du capitalisme industriel. Ce moment marque une rupture dans la logique de production cotonnière : à la dispersion artisanale, domestique et rurale succède une concentration massive du travail dans les usines mécanisées. L’industrie du coton devient ainsi le laboratoire de la révolution industrielle européenne, et plus particulièrement britannique.
L’auteur retrace les innovations techniques qui permettent ce saut productif : la mule-jenny (invention de Crompton, 1779), le power loom (1785), l’intégration verticale de la filature et du tissage, et la substitution progressive de la vapeur à l’eau comme source d’énergie. Ces mutations transforment radicalement l’espace et le temps du travail : prolétarisation, discipline horaire, surveillance, mais aussi dépendance salariale deviennent les traits dominants du nouveau régime industriel.
Beckert montre que cette transition ne signifie pas la disparition du war capitalism, mais sa réarticulation. L’industrie britannique du coton dépend entièrement de l’approvisionnement en coton brut, produit par des esclaves dans le Sud des États-Unis. Le capitalisme industriel repose donc sur une double géographie : concentration de l’industrie en métropole, externalisation de la violence dans les périphéries coloniales. Cette dissociation géographique permet de naturaliser les inégalités tout en intégrant les circuits dans une même économie mondiale.
L’industrialisation se traduit aussi par une nouvelle hiérarchie globale. L’Angleterre devient le cœur manufacturier du coton, exportant ses textiles vers l’Afrique, l’Asie et l’Amérique latine, tout en important la matière première à bas prix. Cette centralité permet une accumulation massive de capital, l’essor des banques, la domination maritime et une hégémonie intellectuelle sur les modèles de production. Beckert insiste enfin sur la lutte politique autour du travail industriel : résistance ouvrière, bris de machines, formation des syndicats et des réglementations (lois sur le travail des enfants, temps de travail) qui modulent l’hégémonie du capital industriel.
Concepts clés définis, expliqués et historicisés
🔹 Définition Régime économique fondé sur la production mécanisée en usine, l’organisation centralisée du travail salarié, l’investissement de capital dans les machines et l’infrastructure, et l’accumulation par le marché. Dans le chapitre, ce capitalisme s’incarne dans l’industrie textile britannique, qui devient le centre névralgique de la production cotonnière mondiale.
🔹 Contexte historique Le capitalisme industriel émerge dans la seconde moitié du XVIIIe siècle en Angleterre, notamment dans les régions de Manchester et du Lancashire. Il se développe grâce à l’articulation de facteurs techniques (machines), sociaux (travail salarié discipliné), politiques (protectionnisme puis libre-échange), et impériaux (approvisionnement colonial). Il marque une rupture avec le war capitalism tout en en dépendant pour ses matières premières et marchés.
Système d’usine (factory system)
🔹 Définition Mode de production industriel où les ouvrier·ères travaillent sous un même toit, selon une organisation hiérarchique, des horaires stricts, et des processus mécanisés. Ce système permet un contrôle direct du capital sur le travail et une intensification de la productivité.
🔹 Contexte historique Le factory system se généralise dans l’industrie cotonnière à partir des années 1790–1800. Il repose sur des investissements massifs en capital fixe (bâtiments, machines), sur la concentration géographique (agglomérations industrielles), et sur l’imposition de nouvelles normes disciplinaires. Il représente un saut dans la logique capitaliste : le travail n’est plus dispersé, mais organisé en fonction des rythmes de la machine et des besoins du capital.
Délocalisation impériale
🔹 Définition Mécanisme par lequel certaines phases de la production (notamment la culture du coton brut) sont externalisées vers les colonies ou périphéries globales, tandis que les activités industrielles à haute valeur ajoutée se concentrent dans les métropoles.
🔹 Contexte historique Ce processus est central dans l’économie cotonnière du XIXe siècle : les champs de coton esclavagistes ou coloniaux alimentent les filatures européennes. Cette dissociation géographique permet à l’Europe d’accumuler sans assumer la violence, tout en assurant un contrôle des prix et des circuits. Beckert y voit une des caractéristiques durables du capitalisme globalisé.
Discipline industrielle
🔹 Définition Ensemble de pratiques visant à contrôler le temps, les gestes, la productivité et la présence des ouvrier·ères dans l’usine. Elle comprend la surveillance, la ponctualité, la régularité du travail, et la soumission à l’autorité hiérarchique.
🔹 Contexte historique La discipline devient une exigence centrale avec l’essor du travail en usine. Elle est imposée par des régulations internes (sonnerie, registre, amendes), mais aussi par l’État (lois sociales, police industrielle). Elle transforme les rapports sociaux : les ouvrier·ères deviennent des unités de production standardisées, leur vie étant subordonnée aux exigences du capital fixe (machines, cadence). Beckert la présente comme le versant social du capitalisme industriel.