LA PETITE SOCIOTHÈQUE
Petites bouchées d'ouvrages militants à partager

The Wages of War Capitalism

Thèmes centraux

  • Mise en place des plantations esclavagistes de coton dans les Amériques

  • Déplacement de la culture cotonnière vers l’Atlantique

  • Centralité de l’esclavage dans l’économie globale du coton

  • Accumulation capitaliste fondée sur la dépossession et la violence

  • Transformation des terres autochtones en espaces productifs esclavagistes

  • Intégration croissante des États-Unis dans l’économie-monde cotonnière

  • Dépendance de l’industrie textile européenne envers le coton esclavagiste

Résumé et analyse

Dans ce chapitre, Beckert approfondit l’analyse du war capitalism en montrant comment il prend forme dans les Amériques à travers l’instauration des plantations esclavagistes de coton. L’auteur retrace le déplacement du centre de gravité de la production cotonnière, qui passe des économies domestiques et proto-industrielles d’Asie vers les grands espaces agricoles d’Amérique du Nord, des Caraïbes et du Brésil. Cette transition est tout sauf naturelle ou technique : elle repose sur une logique de conquête territoriale, d’expropriation des peuples autochtones et d’asservissement des Africain·es déporté·es.

Aux États-Unis, l’expansion vers l’Ouest après l’indépendance permet de convertir d’immenses terres (notamment en Géorgie, Alabama, Mississippi, Louisiane) en zones de monoculture cotonnière. Cette dynamique est soutenue par l’État fédéral qui exproprie les nations autochtones, légalise l’esclavage, et sécurise les intérêts des planteurs. L’économie du Sud devient une économie de plantation intégralement tournée vers le marché mondial, et plus précisément vers l’industrie textile britannique, qui absorbe la quasi-totalité du coton produit.

Beckert insiste sur le fait que cette accumulation n’est pas simplement agricole, mais profondément capitaliste : les plantations sont des entreprises modernes, intégrées dans des circuits financiers, dotées de comptabilités avancées, et connectées à des ports et banques de commerce. Le capital circulant dans ces espaces n’est pas uniquement foncier, mais également marchand, financier, logistique. L’auteur parle d’une « modernité esclavagiste », qui brise l’idée d’un capitalisme nécessairement lié à la liberté contractuelle.

Le chapitre démontre également que l’esclavage n’est pas un résidu ou une anomalie du capitalisme naissant, mais une de ses conditions structurelles. Le coton sudiste devient indispensable aux filatures de Manchester et de Liverpool, et donc à l’industrialisation européenne. C’est cette dépendance fonctionnelle – entre capital industriel libre et capitalisme esclavagiste – qui structure l’économie-monde cotonnière du XIXe siècle.

Concepts clés définis, expliqués et historicisés

Plantation esclavagiste

🔹 Définition Unité de production agricole reposant sur la monoculture, l’exploitation de terres colonisées, et le travail forcé d’esclaves africain·es. Dans le chapitre, elle constitue le cœur du war capitalism dans les Amériques, notamment dans les États-Unis du Sud, le Brésil et les Caraïbes.

🔹 Contexte historique La plantation s’impose dès le XVIIe siècle dans les colonies européennes (cannes à sucre, tabac, puis coton). Elle représente une forme d’entreprise capitaliste fondée non pas sur la liberté contractuelle, mais sur la propriété des personnes et l’usage de la terre conquise. Au XIXe siècle, avec la montée en puissance de la demande mondiale de coton, les plantations sudistes deviennent un pilier central du capitalisme global.

Capitalisme esclavagiste

🔹 Définition Régime d’accumulation fondé sur l’exploitation d’un travail non libre, notamment l’esclavage racialisé des Africain·es déporté·es, dans des structures économiques orientées vers le profit, la spécialisation et le commerce international. Il est central dans l’économie du coton analysée par Beckert.

🔹 Contexte historique Contrairement à l’idée d’un capitalisme incompatible avec l’esclavage, Beckert montre que les deux sont profondément imbriqués. Les plantations cotonnières fonctionnent comme des unités capitalistes avancées : elles mobilisent crédit, comptabilité, spéculation foncière, commerce à terme. L’esclavage n’est donc pas un archaïsme, mais une modalité historique d’accumulation moderne au service du capital industriel européen.

Front pionnier (cotton frontier)

🔹 Définition Zone d’expansion vers l’Ouest nord-américain où s’opère la colonisation des terres autochtones, l’établissement de plantations, et la généralisation de la culture cotonnière esclavagiste. Ce « front » articule violence militaire, spéculation foncière, et extension du war capitalism.

🔹 Contexte historique Après l’indépendance américaine (1776), les États-Unis mobilisent leur appareil militaire et juridique pour étendre leur territoire aux dépens des nations amérindiennes. La loi sur l’expulsion des Indiens (Indian Removal Act, 1830) permet de convertir ces terres en espaces productifs destinés au marché mondial. La cotton frontier incarne la rencontre entre colonisation interne, impérialisme racial, et capitalisme d’exportation.

Marchandisation de la terre et de la personne

🔹 Définition Processus par lequel la terre (expropriée) et la personne humaine (esclave) deviennent des marchandises échangées sur des marchés, valorisées économiquement et intégrées dans des logiques d’accumulation. Dans le texte, c’est la base du war capitalism américain.

🔹 Contexte historique La transformation de la terre en propriété privée aliénable, et de la personne en bien meuble (esclave), sont des ruptures majeures dans l’histoire du capitalisme. Aux États-Unis, cette double marchandisation alimente la croissance économique du Sud et consolide le marché national. Elle permet aussi l’émergence d’un capitalisme racialisé, où la race structure l’accès aux ressources, au statut juridique, et à l’intégration économique.